C’est peut-être aux USA que se prépare l’avenir du droit de la propriété intellectuelle pour l’Europe. C’est en tout cas ce que me fait croire l’adoption par la France de la loi DADVSI: j’ai tendance à y voir l’efficacité des lobbies des multinationales de haute technologie, principalement américaines, qui cherchent à freiner l’innovation de leurs concurrents pour prolonger la durée de vie de leurs propres vaches à lait technologiques (c’est en partie à ça que servent les brevets: ils ressemblent alors à des mines anti-innovation créées par des inventeurs). Notez que j’essaie de ne pas non plus cracher dans la soupe: je bosse pour l’une de ces boîtes et je suis notamment payé pour créer des brevets…
Ceci dit, il se passe actuellement Outre-Atlantique un truc intéressant: la plus haute juridiction des USA (la cour suprême) est poussée à définir ce que c’est qu’une invention « évidente ». En effet, pour qu’une invention puisse faire l’objet d’un brevet, il faut qu’elle apporte une véritable nouveauté et qu’il ne s’agisse pas d’une exploitation « évidente » d’une technique déjà connue. Or, aujourd’hui, les magistrats américains n’ont pas de référence claire dans leur droit pour faire la différence entre une idée « évidente » (et qui ne mérite donc pas d’en réserver le monopole d’exploitation à son inventeur par un brevet) et une idée qui ne l’est pas. Morale de l’histoire, les offices de brevets croulent sous des demandes de brevets concernant des inventions qui n’en sont pas et, faute de savoir leur dire non, leur octroient pourtant des brevets. Conséquence: des sociétés fantômes (les méchants « trolls ») sont créées par des faux inventeurs qui obtiennent ainsi des brevets pour des « inventions évidentes » et menacent ensuite d’autres inventeurs de leur faire de coûteux procès si ils ne leur versent pas de l’argent. Une forme de racket à grande échelle sous couvert de protection des idées par les brevets, qui commence à faire grincer pas mal de dents, y compris des grosses multinationales qui en ont un peu marre d’avoir à se défendre contre ces hordes de trulls hurlants. C’est peut-être ce qui suffira à convaincre la Supreme Court de préciser les critères qui permettent de déterminer ce qui distingue une invention évidente d’une invention méritant brevet.
Mais derrière cette bagarre se profile aussi un phénomène intéressant concernant les innovateurs open source. En effet, ceux-ci sont au premier rang des victimes des trolls: comment un innovateur open source qui contribue à titre individuel à un projet libre peut-il se défendre contre un troll armé d’une massue d’avocat et qui le menace de procès interminables et coûteux? C’est pourquoi l’ Electronic Frontier Foundation monte actuellement au créneau et appelle la Cour Suprême à empêcher le massacre. L’argumentation employée me semble pleine de promesses pour l’avenir du droit de la propriété intellectuelle en Europe: l’EFF rappelle que les logiciels libres constituent un bien commun informationnel qui doit être protégé par les Etats au nom de l’intérêt public. La notion de bien commun informationnel est très bien développée et défendue par des intellectuels français tels que Philippe Aigrain. Espérons que toutes ces bonnes idées seront entendus par les magistrats américains et que, par contamination, le droit Européen et Français suivront.