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Smart Contracts, crypto-monnaie et Revenu Libre d’Existence

J’ai un ami qui dédie sa carrière au « libre » et aux « biens communs » et je m’apprêtais à lui soumettre une idée d’innovation solidaire par email. Mais je lui ai dit que ça pouvait aussi t’intéresser, cher lecteur-contributeur. Ca parle donc de liberté, de solidarité mais aussi de cryptomonnaie (bitcoins, ethers) et de programmation de « smart contracts » solidaires. Donc essentiellement de numérique et d’innovation sociale.

L’idée de base, c’est d’essayer de rendre libres et communs des biens rivaux, ce qui est théoriquement impossible. J’ai évoqué cette idée ici il y a quelques années mais en anglais. Le principe est inspiré du Pay-It-Forward et de l’économie de communion. Un peu comme avec une licence de logiciel libre (copyleft), on rédige un contrat entre nous du style suivant.

Je te donne ce stylo (je te le « libère ») à condition que tu t’engages à donner à ton tour un stylo de valeur égale ou supérieure à celui-ci à la première personne qui t’en fera la demande dès qu’elle t’en fera la demande et acceptera les mêmes conditions que celles-ci et sans poser aucune restriction supplémentaire sur cette personne, le stylo ou l’usage que cette personne en fera.

Le stylo en question devient donc « libre » dans la mesure où plus personne ne peut se l’approprier au point d’en priver les autres. Mais tout le monde peut l’utiliser, l’étudier, l’améliorer et le partager. Presque comme un logiciel libre. Bien sûr, la différence principale c’est que, dès que je rend ce stylo à mon prochain, je ne l’ai plus. On ne peut pas l’utiliser simultanément à plusieurs. Mais je n’en suis pas non plus définitivement privé puisque je peux le redemander. Et si je l’use trop, c’est à moi de le réparer, de le remplacer ou de l’améliorer pour que je rende toujours une valeur au moins égale à celle que j’ai reçue.

Ce qui est amusant, c’est que si on inclut cette notion « d’intérêts » au sens financier (je te donne 1 stylo si tu t’engages à en donner 2, ou bien je compense au moins « l’usure » du stylo) et une notion de prix comparable ou de valeur au moins équivalente (je te donne des biens de valeur X si tu t’engages à en donner de valeur X * 2, pas forcément les mêmes biens) alors on peut imaginer contaminer ainsi tous les biens rivaux de la planète et, en théorie, mettre fin en pratique à la propriété privée. En pratique… en théorie.

Je te libère 1 euro la prochain fois que je te vois à condition que tu t’engages à en libérer 2 fois plus à la première personne qui t’en fera la demande, dès qu’elle t’en fera la demande et acceptera les mêmes conditions que celles-ci et pas une de plus. Par effet boule de neige, ce contrat librement contaminant pourrait, à terme, empêcher quiconque de refuser de partager son argent avec son prochain…

Bon, l’idée peut paraître amusante mais, en pratique, elle est difficile à implémenter à grande échelle. Il serait coûteux de faire respecter un contrat de ce type. Difficile de savoir qui détiendrait, à un instant t, des biens libres, lesquels et de quelle valeur, selon quelle version du contrat. Difficile de s’assurer que le bien rendu est effectivement de valeur égale ou supérieure au bien libéré. Et ensuite difficile d’obtenir d’un système judiciaire qu’il fasse appliquer ce contrat en allant jusqu’à faire saisir les biens libres de cette personne. Sans compter les personnes qui organiseraient leur insolvabilité par malhonnêteté ou seraient tellement endettées que ça ne serait pour elle qu’une dette insolvable de plus, cette fois vis-à-vis de tous tiers. Des dettes communes, en quelque sorte. Les insolvables agiraient alors comme des trous noirs à biens communs, en profitant mais en privant alors définitivement les tiers. Une tragédie..

Mais les choses sont plus facilement maitrisables avec la notion (compliquée) de smart contract. Je ne vais pas expliquer ici ce concept mais supposer que tu sais ce qu’il en est. Pour ce qui nous intéresse, on peut imaginer programmer un token de cryptomonnaie basé sur Ethereum selon un contrat de liberté inspiré de la GPL et du pay-it-forward : Alice donne ce token à Bob à condition que, etc. L’intérêt du smart contract c’est que Charles et David n’ont pas besoin de faire confiance à Bob pour savoir que le contrat va s’appliquer. Le contrat s’applique automatiquement, informatiquement, et avec une traçabilité parfaite. On peut programmer le contrat pour savoir à tout moment qui détient quels tokens libres et combien et selon quel contrat, et ces tokens peuvent être obtenus automatiquement par n’importe qui en ferait la demande. Il y a bien sûr un risque de fraude si on permet aux tokens d’échapper au contrat. Par exemple, si j’échange mon token contre des euros et que je m’approprie les euros obtenus au lieu de les laisser soumis au contrat qui me lie ainsi au reste de l’humanité. Qui va garder la contrainte de liberté lié au caractère « commun » de ce token ? Celui qui a obtenu les euros ? Ou celui qui aura récupéré le token libre ? Que vaut un token libre s’il ne peut pas être utilisée aussi librement qu’une monnaie non libre ? L’idéal serait que le détenteur de token libres puisse effectivement les échanger contre des euros libres, qu’il garde la charge de liberté initialement attachée au token mais désormais attachée aux euros dans le monde hors numérique dans lequel le smart contract ne s’applique plus automatiquement. Mais ce risque doit être quantifiable, limitable et gérable.

Du coup, ça m’a donné une idée d’extension autour du concept de revenu d’existence. L’idée est de faire circuler des smart contracts programmés pour permettre une redistribution équitable et universelle des richesses monétaires entre les personnes. Un revenu d’existence qui ne serait pas émis par une administration pour ses administrés seulement mais qui serait auto-organisé par contrat et librement consenti par ses souscripteurs en fonction de leur générosité (et de leurs besoins). Imaginons donc le contrat suivant.

    Alice verse 1 ether à Bob en tant que « revenu libre d’existence » (RLE) à condition que Bob s’engage à reverser un RLE :

  • à la première personne physique vivante qui en ferait la demande pour une période donnée, (Bob ne choisit pas le demandeur Charles qui lui demandera un RLE pour le mois de juillet 2015)
  • dès que cette personne en fait la demande, (Charles le demande le 9 août 2015 et donc l’obtient immédiatement, automatiquement, sans que Bob puisse s’y opposer comme il s’y est engagé initialement auprès d’Alice)
  • tant que la somme cumulée des reversements de RLE effectués par Bob est inférieure à la somme cumulée des RLE reçus par Bob, multipliée par un facteur d’intérêt F supérieur ou égal à 1, (tant que Bob n’a pas déjà reversé à des tiers F fois le montant total de RLE dont il a bénéficié ; une fois que Bob a beaucoup reversé de RLE, il s’est acquitté du contrat de RLE qui le liait à Alice)
  • et, étant défini que le montant nominal du RLE d’une personne pour une période donnée est égal à la somme cumulée des RLE reversés au cours de cette période divisée par le nombre de personnes ayant reçu ces reversements, (par égalité, le montant nominal du RLE est un partage égalitaire de tous ce que les gens ont pu reverser comme RLE à cette période), tant que Bob, pour la période demandée, n’a pas déclaré avoir touché comme revenus totaux un montant inférieur à 4 fois le montant nominal du revenu d’existence pour cette période, (c’est une exception au principe de liberté au nom de la solidarité ou de la fraternité : par solidarité, on autorise Bob à s’approprier temporairement le RLE qu’il a perçu tant qu’il est pauvre et donc à priver les tiers du reversement de ce RLE)
  • d’un montant égal au montant nécessaire et suffisant pour que cette personne ait bénéficié, au titre de cette période, du montant nominal du RLE d’une personne pour cette période, (on reverse à Charles ce dont il a besoin pour bénéficier d’un RLE complet pour cette période, mais pas plus)
  • sous les mêmes conditions que celles énumérées dans ce contrat ou dans toute version de ce contrat émise ultérieurement par Jean Millerat (il pourrait s’agir d’un auteur plus compétent, comme une Free Software Foundation de la liberté, de l’égalité et de la fraternité, composée de juristes confirmés…)
  • et sans apporter de restriction ou condition supplémentaire.

Donc tous les bénéficiaires du RLE reversent à leur tour un RLE aux personnes qui le demandent. La machine est amorcée par les personnes solidaires qui acceptent de libérer un peu d’argent de temps en temps (les Alice). La machine est entretenue par tous les bénéficiaires suffisamment riches pour reverser leur RLE et un peu plus, à toute la planète (les Bob et les Charles). Et la machine bénéficie à tous ceux qui, à un moment de leur vie, n’ont pas assez de revenus pour reverser immédiatement un RLE (parfois Bob, parfois Charles). C’est une espèce de gigantesque mutuelle automatisée, en quelque sorte.

Je vais donc jeter un coup d’oeil à la programmation de smart contracts sur Ethereum pour voir dans quelle mesure ce concept est implémentable et donc ensuite essayer de le tester.

A noter : ce concept peut être étendu à de nombreuses autres formes d’innovation sociale, c’est le tour de force des smart contracts et des cryptomonnaies, qui « informatisent la confiance » (qui rendent la confiance inutile dans certaines transactions en automatisant leurs conditions d’exécution). Par exemple, plutôt que de prévoir une exception solidaire de non-reversement immédiat par les plus pauvres, on pourrait imaginer un contrat dans lequel Charles peut définitivement s’approprier le montant perçu (ne pas avoir à le reverser) à condition d’avoir produit un bien commun dont la valeur est estimée par un panel de souscripteurs comme étant au moins égale au montant perçu. Un peu comme si Charles avait convertit un token de cryptomonnaie libre en un bien commun tel qu’un logiciel libre, des contributions à la wikipedia, à OpenStreetMap, etc. Le contrat devient alors un modèle de financement de la création de biens communs.

Tu imagines d’autres applications possibles de contrats de ce type ? Qu’est-ce que ça t’inspire ?

« Donner plus pour gagner plus. »

Ce samedi, je suis invité à témoigner dans le cadre d’un colloque parisien pour fêter les 20 ans de l’économie de communion (vous êtes invité, inscrivez-vous !). On m’a demandé de rédiger mon témoignage d’entrepreneur social de l’économie de communion alors le voici :

J’ai 36 ans, je suis un banlieusard des Yvelines. De formation, je suis ingénieur centralien. De c½ur, je suis scout de France, bénévole auprès de plusieurs mouvements associatifs, marié et père d’une famille de 4 enfants. Après une première expérience de créateur d’entreprise technologique en début de carrière puis chef de service informatique chez Saint-Gobain et chef d’équipe de recherche en informatique chez Motorola, je suis retourné à la création d’entreprise il y a 3 ans, cette fois-ci inspiré par l’économie de communion.

J’ai découvert l’économie de communion alors que j’étais encore chez Saint-Gobain. En tant que petit chef dans une multinationale, et en tant que scout et bénévole engagé, je me demandais à l’époque comment ne plus vivre en schizophrène : au service d’un cours de bourse le jour et idéaliste la nuit. L’entrepreneuriat social puis l’économie de communion, que j’ai découvert via un collègue de bureau elle-même ancienne scoute, m’a permis de redonner un peu d’unité entre mes compétences professionnelle et mon désir de servir mon prochain.

J’ai créé ma nouvelle entreprise, Wecena, il y a trois ans, dans le secteur informatique. Au quotidien, l’économie de communion est un triple défi pour moi.

Le premier défi ressemble à c’est celui de tout entrepreneur : celui de réussir à créer et développer une activité économique rentable. Je conclus bientôt ma 3ème année d’activité et j’espère enfin pouvoir dégager des bénéfices. Depuis le début de l’année, j’ai enfin pu me verser un salaire presque équivalent à ce que je touchais en tant que salarié. Si la tendance se poursuit jusqu’à la fin de l’année, mes bénéfices me permettront enfin d’accomplir l’une des vocations de ce projet, qui est spécifique à l’économie de communion : lutter contre la pauvreté en partageant une partie de ces bénéfices avec de plus démunis. Le reste des bénéfices est dédié à être réinvesti dans le développement de l’entreprise et à développer la culture du don dans le monde des entreprises.

Le deuxième défi de l’économie de communion, pour moi, c’est un défi pour mari et père de famille. Mon épouse s’occupe quotidiennement de nos 4 enfants qui ont entre 4 et 7 ans (des triplés dans le lot…). En quittant mon job salarié pour me lancer dans l’entrepreneuriat, j’ai choisi de mettre un peu en danger la sécurité financière de ma famille : il n’y a plus une feuille de paye garantie à la fin du mois. Bien sûr, je l’ai fait avec des dispositifs de sécurité qui m’ont semblé raisonnables : un gros chèque de mon précédent employeur, l’énorme aide des ASSEDIC pour les créateurs d’entreprise, un diplôme de centralien et une expérience qui m’aidera à retrouver rapidement un travail salarié si besoin. Mais aujourd’hui je n’ai pas de visibilité commerciale à plus de quelques semaines alors que je dois penser aux besoins de ma famille à long terme : les études des enfants, la retraite… sans compter la récession qui commence. Prendre des risques en investissant, et le faire “en bon père de famille”, c’est aussi une recherche d’unité et de communion avec ses proches. Mettre en danger son portefeuille, quand on est jeune et célibataire, comme lorsque j’ai créé ma première entreprise, c’est une chose. Mais lorsqu’il s’agit de sacrifier une partie de la sécurité financière de ses enfants et de son épouse, c’est autre chose. Comment vivre ce besoin de sérénité financière avec mon épouse et penser à deux à notre avenir ? C’est un défi pour l’unité de ma famille. De plus, j’ai quotidiennement la tentation de consacrer toute mon attention à mon activité. Sous la douche, au lit, à table, il y a toujours cette passion d’entrepreneur qui vous taraude et cette question de comptabilité, de marketing ou d’informatique peut venir perturber l’attention à porter à mes proches. Être entrepreneur, mari et père attentionné, cela demande une certaine discipline personnelle. Ce n’est pas évident. Ça demande même de l’exercice, comme un sport. L’économie de communion et les témoignages de mes confrères entrepreneurs de l’économie de communion m’aident à y voir plus clair et à chercher plus de cohérence personnelle dans ma gestion du quotidien. Si j’en venais à perdre de vue la priorité que représentent mon couple et ma famille et à ne plus penser qu’à mon entreprise, l’unité serait rompue et mon projet dans l’économie de communion perdrait son sens.

Un troisième défi de l’économie de communion, c’est d’essayer de partager cette culture du don dans l’économie avec mes clients et partenaires. Et c’est d’autant plus difficile que le don, sous la forme du mécénat, est au c½ur de mon activité.

Dans mon entreprise, Wecena, j’encadre des chantiers de mécénat informatique pour le compte d’associations de solidarité. Sur ces chantiers numériques, j’accueille et j’encadre des volontaires informaticiens qui nous sont envoyés par leurs employeurs, des sociétés de conseil et de services en informatique (SSII). Ces sociétés leur proposent ces chantiers de solidarité pour leur permettre de donner plus de sens à leur métier, de découvrir des problématiques numériques nouvelles (par exemple l’accessibilité numérique pour les personnes handicapées), et d’y consacrer quelques jours de travail inoccupés, entre deux missions lucratives. Je suis payé par ces sociétés pour mon travail de chef de projet. Mais elles sont remboursées par l’État notamment via des mécanismes d’économies d’impôts ou de déduction de dépenses liées au handicap. C’est le concept du wecena, un montage astucieux de « mécénat de compétences » et de sensibilisation, pour recycler du temps de travail inexploité chez les entreprises informatiques et le mettre au service de la solidarité.

D’un côté, j’ai donc des clients qui sont des associations de solidarité, avec des milliers de bénévoles pour certaines d’entre elles. Le don et le bénévolat, elles connaissent. Mais l’économie et l’entreprise, c’est plus lointain, moins accepté… L’entrepreneur, c’est l’étranger, le profiteur ou le voleur de poules ! Être entrepreneur, pour certains volontaires d’associations de lutte contre la misère ou bien pour certaines mamans d’enfants handicapés, c’est louche. Au mieux. C’est perçu comme une histoire de profiteur, d’égoïste, de menteur, d’escroc. Certains bénévoles sont scandalisés : “Quoi ! Un entrepreneur au service du social, c’est n’importe quoi !”, “Je suis sûre qu’il s’engraisse sur de l’argent qui devrait plutôt me revenir pour m’aider à m’occuper de mon enfant handicapé !”, “Il veut faire des profits sur la solidarité, quel scandale ! ”, “Il veut être payé par des mécènes pour son travail alors que nous sommes bénévoles ? C’est du détournement de fonds ! ” Comment leur expliquer que je suis là avant tout pour faire à temps plein mon métier de directeur de projet informatique ? Que ce travail mérite salaire ? Que les risques d’entrepreneur que je prends méritent aussi des bénéfices ? Que le travail que je fais pour leur association est entièrement financé par des mécènes privés et par les économies d’impôts mécénat encouragées par l’État ? Que mon projet d’entreprise vise à créer une communion avec les plus pauvres, à qui je voudrais destiner mes bénéfices ? Pas facile de faire des affaires avec le milieu associatif… Surtout quand on leur propose un mélange innovant de gratuité, de don et d’activité économique professionnelle. Ça paraît louche.

D’un autre côté, une partie de mon travail consiste à transformer de nouvelles SSII en mécènes et donc à convaincre leurs dirigeants : “ Plutôt que de laisser vos salariés ne rien faire entre deux missions lucratives, faites-en don à mes associations clientes ! ”. En France, chaque jour, environ 10.000 informaticiens de ce secteur sont payés à ne rien faire pendant quelques jours, en attendant le début de leur prochain mission chez un client. On appelle ça “être en inter-contrat”. C’est un fonctionnement normal et l’une des raisons d’être de ces sociétés de prestation. Quand je vais voir leur patron pour leur présenter les besoins en compétences numériques de mes associations clientes, leur premier réflexe est souvent : “ Ces associations ne peuvent pas payer, alors pourquoi leur donnerait-on notre temps ? ”. J’essaie de leur expliquer que, « plus ils donnent, plus ils reçoivent » : leurs salariés deviennent moins stressés, plus fiers d’appartenir à cette entreprise, plus riches d’une expérience de solidarité professionnelle qui a la place sur leur CV… Je leur explique que leur image d’entreprise responsable se trouve renforcée et qu’ils attireront plus facilement de nouvelles recrues. Que cela fait partie de leur Responsabilité Sociale et Environnementale (RSE). Et comme ils comprennent qu’il s’agit de donner du temps perdu, ils acceptent parfois. Je leur explique alors qu’il faut rémunérer mon travail d’encadrement de ces chantiers et que ça leur sera remboursé par l’État à 100%. Là, la réaction épidermique revient : “ Quoi ? Vous voulez qu’on vous donne les temps morts de nos salariés et, en plus, vous voulez qu’on vous paye ? D’habitude ce sont nos clients qui nous payent, pas l’inverse ! ” Apprendre à un dirigeant commercial à donner sans attendre de retour en cash, ce n’est pas chose facile. Le don n’est pas dans leur culture. Ils ont l’impression d’être volés. Les directeurs administratifs et financiers me demandent à leur tour : “ Comment modéliser le retour sur investissement sur ces opérations de mécénat ? Combien est-ce que ça va nous faire gagner d’argent à l’horizon d’un an, à 3 ans, à 5 ans ? ” Je leur réponds, via des tableaux Excel, que l’opération est très peu coûteuse, grâce à l’encouragement financier de l’État, mais que les bénéfices à attendre sont dans le c½ur de leurs salariés et de leur clients. Des fois, ça passe ! Souvent, je dois traiter avec des schizophrènes qui me ressemblaient, comme ce directeur d’agence qui m’avoue à voix basse, un peu honteux : “ Je trouve votre activité formidable et j’aimerais qu’on fasse du wecena : enfin un peu d’air frais dans notre secteur ! Mais il n’est pas question qu’on en fasse car faire ce genre de dons serait inacceptable pour notre comité de direction. ” Où ce directeur général d’une grosse SSII filiale d’un groupe industriel :  » J’ai énormément de sympathie pour votre projet mais le justifier financièrement aux yeux du président de notre maison-mère serait beaucoup trop difficile.  » Et chacun se demande qui est le plus fou : “ Plus on donne, plus on reçoit ? Allez expliquez ça à nos actionnaires ! ”. Comme si les managers et dirigeants d’entreprise avaient du mal à vivre en unité avec eux-même… Comme si ils pensaient qu’il n’y a d’enrichissement que financier. Comme si ils devaient renoncer à leurs intuitions faute de pouvoir les rationaliser économiquement avec leurs outils habituels. Comme si ils pensaient que la seule unité possible avec leurs actionnaires passe par le montant du dividende et l’évolution du cours de bourse. Ce qui n’apparaît pas dans la bottom line financière n’existe pas. Donner plus pour gagner plus ? On ne peut pas gagner des élections présidentielles avec un slogan de ce genre…

Malgré tout, j’arrive à avancer. 8 SSII (dont des grosses, comme Open puis AtoS) sont déjà passées à l’acte et ont commencé à faire du wecena. Ensemble, elles ont déjà donné 520 jours de travail à travers la mobilisation de 41 salariés. Mais, pour développer leurs dons et mon activité, je butte encore sur l’inertie des cultures et des organisations. Les dirigeants ont une pression au quotidien : faire plus d’argent, ils croient que c’est l’essentiel de leur métier. Alors, c’est déjà bien d’avoir commencé à faire des dons de compétences, mais pourquoi donner plus ? Une poignée de salariés qui se sont portés volontaires, c’est déjà bien. Alors pourquoi généraliser le don ? Même si le coût financier est pris en charge par l’État sous forme d’économies d’impôts mécénat, où est l’urgence à donner régulièrement et plus massivement ? Pour arriver à intégrer totalement cette logique de don à l’entreprise, pour proposer à tout salarié disponible quelques jours de faire du wecena, pour institutionnaliser le don dans les processus de management, le chemin sera long. Les signes qui m’encouragent viennent notamment des salariés eux-mêmes et des élus du personnel : ils voient et disent la valeur qu’a le bien-être d’un salarié. Ils voient le surcroît de motivation (et donc de productivité) de celui qui a donné du sens à son métier. Le bouche-à-oreille entre salariés commence à fonctionner pour mobiliser des nouveaux volontaires pour mes associations clientes. Mais il ne peut prendre de l’ampleur que si il est alimenté par des dirigeants visionnaires et qui apprennent à vivre la richesse du don. Peut-on mettre en chiffre cette richesse pour entrer dans le reporting du directeur financier ? C’est difficile. Quand bien même on y arriverait, de là à la ramener à une évaluation financière de retour sur investissement, devrait-on le faire ?

Free money

Not « free money » as in « free beer » but free as in « free speech ». I mean « Libre money », like « Libre software ». Money made free. Goods made free so that they make people freer. What could this mean ?

Could the concept of copyleft found in the realm of software and intellectual creativity be transposed to material and rival goods so that humans get freer from their dependency on material goods and property ?

Let’s pretend I have a pencil in hand (or 10 euros). Here is my (imaginary) offer to you be : you can get this pencil if and only if :

  • after some predefined time (let’s say after 10 seconds) you must accept to give this pencil (or an equivalent pencil ?) further (not back) to anyone who asks for it and accepts some predefined conditions (the contract)
  • the most important condition this futher person/borrower must accept is to further transfer the goods along with their freedom contract once the defined delay has expired : they can’t put any additional restrictions to the freedom of people wishing to get these pencil(s)
  • maybe you will have some interest to add to it (for instance the condition may be that you must accept also giving a second pencil under these conditions after 10 seconds)

Once you get the pencil under such a contract, you are free to do anything you want with this pencil (you may draw a picture for instance). 10 seconds later, you may still keep it as your own (and keep on drawing pictures meanwhile) until someone comes to you and asks for this pencil. Then you must propose this pencil and an additional one under the conditions above. If the further person accepts these conditions, she may take this pencil (or these 2 pencils) and do the same : do anything she wishes during some time then keep doing anything she wants until someone gets the (1, 2, 3 or 4) pencil(s) under the same contract.

From now on, these pencils are made free. They are still the property of the persons who initially set them free. But, as long as the conditions of the contract are respected, they will freely flow from person to person. If there is an interest rate defined in the contract (the second pencil or 100% interest rate in the example above), then these interests are also made free and will contribute to the total amount of free rival goods in circulation. In some future, the whole population of pencils of planet earth may be made free in such a process !

You may note that this whole concept I am proposing here :

  • is rooted in the free culture of free software
  • is also rooted in the culture of giving in freedom which the economy of communion tries to promote
  • gets inspiration from the current trend of sharing stuff via the Internet, and optimize the ownership and use of material goods, including the fabulous freecycle network
  • somehow relates to the American ideal of « giving back to the community » (once you are richer) but with a twist
  • allows charitable gifts to poor people to be made less humiliating because the gift is now a loan and « officially » recognizes that the person receiving goods (the « poor » person) also receives a debt not toward the giver but toward humanity, while still giving merit to the initial loaner who « sufffers » from the « loss » of the items made free
  • is a common practice in many traditions such as master/apprentice  or teacher/student or parents/children relationships : master transfers some trade knowledge to apprentices as long as a moral obligation to further transfer this tradition/knowledge to future generations of apprentices/would-be-masters.

Now there are several practical problems with any attempt at contractualizing these practices of « giving back to the community » :

  • what if someone is materially not able to further give/transfer the good when the loan delay has expired ?
  • how to limit the risks of having malicious people exploit the system at their own profit and break the chain of freedom ?
  • are interests rate desirable or even morally acceptable ?
  • which sets of conditions would best guarantee the development of the freedom of humanity with regards to these goods ?
  • could such contracts be drafted and enforced world-wide despite borders and disparities among national laws ?
  • in order to maximize the probability that people don’t abuse the system and protect the freedom of these goods in further paying their debts, should the power of this contract mainly rely on justice (a judge may take your goods in order to pay your freedom debt) ? or on social mechanisms (such as only accepting female borrowers or borrowers who come as a group of independent but socially related people, in a way similar to some practices in the field of microcredit) ? or both ?
  • could such a system be made viable offline ? or will it necessarily rely on online trust mechanisms (identity, reputation, social networks, cryptography, …) ?
  • could such a system be made viable without a central platform ? can it work in a peer-to-peer fashion in the same way free software licences work (the only central point of failure for the GPL is the unique power of the FSF to release later versions of the GPL) ?
  • could the risk of failing borrowers (people not paying their debt further) be covered by some insurance mechanisms and agents ?

My real purpose here (beyond playing with an attractive concept) is to invent a contract which can be useful in order to augment the freedom of people to access and use goods they don’t own while still protecting (and contributing to) the freedom of further people to do so.

With your comments and contributions, maybe we could find the perfect combination of conditions a freedom loan contract should impose in order to meet the purpose above.

In further comments or posts, we/you may :

  • tell the fiction of several goods released under free loans/free debt contracts in order to explore the potential advantages and drawbacks of some combinations of conditions,
  • propose several such loans « for real » to readers in order to practically experiment and play with these concepts.

(But please DO NOT ASK for money here. Money will not be given to you. People asking for money and not usefully contributing to this conversation may be banned as spammers.)

De l’entreprise responsable à l’entreprise sociale

[Je rédige cet article comme introduction d’un dossier spécial « RSE » pour les revue des anciens des écoles Centrale de Lille, Lyon, Nantes et Marseille. Je devrai en zapper certains paragraphes pour le ramener de 5 à 4 pages. Vos suggestions et corrections sont les bienvenues…]

Votre entreprise paie des impôts, maintient des emplois, sert des clients et des actionnaires, elle respecte la loi… Pour autant, exerce-t-elle pleinement sa responsabilité vis-à-vis de la société ? Pas forcément si l’on en croit le concept de Responsabilité Sociale de l’Entreprise.

Définition

La RSE va plus loin que les obligations légales. La Responsabilité Sociale de l’Entreprise, c’est la déclinaison du concept de développement durable au monde de l’entreprise. La RSE propose donc une vision de l’entreprise articulée autour de 2 concepts clefs : les parties prenantes et le triple bilan.

Parce qu’elle n’interagit pas seulement avec des clients ou des actionnaires, l’entreprise responsable prend en compte toutes ses parties prenantes : dirigeants, clients, actionnaires, fournisseurs, employés, collectivités publiques, familles des employés, associations et ONGs, habitants, personnes en marge de l’économie…

Et parce qu’avec chacune de ces parties prenantes, elle ne produit pas qu’un résultat économique, l’entreprise responsable évalue sa performance dans un triple bilan : économique mais aussi environnemental et social. On parle ici de bilan social au sens large, c’est-à-dire concernant :

  • autant les relations humaines au sein de l’entreprise (notamment avec les employés)
  • que les relations humaines à l’extérieur de l’entreprise (avec les familles des employés, les concurrents, les personnes éloignées de l’emploi, …) c’est-à-dire au sein de la Société avec un grand S (d’où l’expression de bilan sociétal parfois utilisée).

Les relations avec chaque partie prenante sont autant de chantiers pour le développement de la RSE.

L’entreprise et ses dirigeants

L’amélioration de la gouvernance est historiquement l’un des premiers chantiers d’action pour les grandes entreprises inventant leur RSE. Il s’agit d’améliorer la transparence du gouvernement d’entreprise et la responsabilité individuelle de ses dirigeants : règles de nomination des dirigeants et des administrateurs, mécanismes de contrôle et de sanction, répartition et régulation des pouvoirs des dirigeants… Plus de transparence et de responsabilité de la direction peut amener à un comportement plus responsable de l’entreprise.

Les fournisseurs

L’audit social ou environnemental des fournisseurs de l’entreprise est un autre levier historique de la RSE. Lorsqu’une marque grand public ou une enseigne de distribution se retrouve au centre d’un scandale médiatique parce que ses fournisseurs, dans des pays pauvres, font travailler des enfants ou des esclaves, il y a matière à faire changer l’entreprise et la faire devenir plus responsable. Limiter les risques de scandales est un premier pas pour motiver une politique d’achats responsables. De manière plus volontariste et positive, l’implication étroite des fournisseurs dans une politique RSE peut avoir un effet vertueux et significatif sur la situation économique, sociale et environnementale de pays très éloignés.

En France aussi, par le biais de sa politique achat responsable ou achat durable, l’entreprise peut exiger de ses fournisseurs qu’ils améliorent leurs pratiques sociales ou environnementales. Certaines grandes banques attribuent chaque année une note RSE à tous leurs fournisseurs et cette note est prise en compte dans les négociations de nouveaux contrats.

L’entreprise peut aussi davantage recourir au secteur protégé des entreprises employant des personnes handicapées et ainsi mieux satisfaire à ses obligations légales en faveur de l’insertion professionnelle des personnes handicapées. Recourir à une entreprise d’insertion, c’est une autre manière d’exercer sa RSE en favorisant le retour à l’emploi de personnes exclues. Les entreprises d’insertion embauchent des personnes très éloignées de l’emploi (non diplômés, anciens détenus, personnes handicapées). Elles leur proposent non seulement un emploi d’un an ou deux ans mais aussi et surtout un parcours personnalisé pour se réinsérer dans le marché classique du travail (accompagnement psychologique, administratif, médical, social, …).

Les clients

L’attention que les clients apportent à la RSE de leur fournisseur est essentiel dans la motivation de l’entreprise à devenir plus responsable. Cette attention peut être telle qu’elle fait émerger de nouveaux marchés : le consommateur soucieux de naturel souhaitera acheter bio, le consommateur soucieux du bien-être des petits producteurs dans les pays pauvres souhaitera acheter équitable plutôt que d’enrichir des intermédiaires. Certaines marques de grande consommation peuvent s’associer à des Organisations Non Gouvernementales (ONG) en leur reversant un pourcentage des ventes effectués sur certains produits-partage. Le rôle du client est cependant limité par sa capacité à s’informer sur les produits. C’est pourquoi les labels de qualité environnementale (écolabels) ou sociale se multiplient : Forest Stewardship Council pour les bois et papiers issus d’exploitation forestières durables, Marine Stewardship Council pour les produits issus de la mer, etc.
Une autre manière d’associer le consommateur à la politique RSE de l’entreprise consiste à lui proposer d’arrondir sa facture à l’euro supérieur et à offrir ces centimes à un organisme d’intérêt général. C’est le concept du microdon ou de l’arrondi solidaire sur facture.

Que ce soit dans les appels d’offres des marchés publics, dans ceux du secteur bancaire ou dans les questionnaires référencement d’un nombre grandissant de grands comptes du secteur privés, les critères environnementaux et sociaux se multiplient. Certes, la crise modère leur importance pendant un temps. Mais la RSE est devenu un facteur de différenciation et un avantage concurrentiel pour nombre d’entreprises qui en font, à raison, un argument de vente.

Les salariés

Les pratiques managériales sont l’un des champs essentiels de la RSE.

En matière de recrutement, une entreprise responsable lutte contre les discriminations à l’embauche et peut rechercher une certaine parité hommes-femmes. Pour une responsabilité positive, elle peut développer des programmes de soutien à la diversité dans le recrutement, par exemple en recrutant auprès de populations plus en marge de l’emploi, par exemple les jeunes issus de quartiers en difficulté, ou en embauchant 6% de ses salariés parmi les personnes handicapées, comme l’y invite la loi française. Créer une filiale labellisée entreprise d’insertion est un moyen extrêmement puissant pour l’entreprise d’exercer son métier en offrant à des “accidentés de la vie” de retourner vers l’emploi.

La RSE vis-à-vis des salariés se traduit aussi par les politiques de formation et l’attention portée à l’employabilité des salariés.

Le syndicalisme doit jouer son rôle de représentation et de défense des intérêts des salariés. Mais la RSE appelle l’entreprise à ne pas s’en contenter et, éventuellement, à explorer les voies plus directes du management participatif comme, par exemple, à travers les expérimentations démocratiques des Sociétés À Gestion Partagée (SAGP). C’est aussi l’une des ambitions principales des sociétés coopératives et de leur principe “une personne, une voix”.

L’implication responsable des salariés passe aussi par la participation des salariés aux bénéfices de l’entreprise, notamment via les politiques de participation, d’intéressement ou d’épargne salariale.

Plus récemment, les politiques de mécénat des entreprises développent de nouveaux champs d’implication des salariés dans la responsabilité de leur entreprise. Le mécénat associé consiste à laisser les salariés proposer ou sélectionner les associations bénéficiaires de dons de l’entreprise, voire à abonder les dons individuels décidés par les salariés. L’arrondi solidaire sur salaire consiste à proposer aux salariés, via le gestionnaire de paye, d’arrondir son salaire mensuel à l’euro inférieur et d’offrir les bénéfices à une oeuvre caritative, avec ou sans abondement de l’entreprise.

Pour partager la RSE avec les salariés autrement que via leur portefeuille, certaines entreprises encouragent leurs salariés à mettre leurs compétences professionnelles au service d’associations d’intérêt général. Lorsqu’il s’agit d’y consacrer le temps libre du salarié, on parle de bénévolat de compétences. L’entreprise facilite la mise en relation avec l’association qui a besoin du métier du salarié mais c’est le salarié qui donne son temps. Lorsqu’il s’agit d’y consacrer du temps de travail, c’est l’entreprise qui fait ce don et on parle alors de mécénat de compétences. Le salarié peut être invité à consacrer à une association de solidarité une partie de ses congés ou jours de RTT, avec abondement de l’entreprise qui l’autorise alors, en proportion, à y consacrer quelques jours de temps de travail. Lorsque l’association de solidarité est à l’étranger (par exemple en Afrique), on parle de congé de solidarité internationale.

Le mécénat de compétences à l’américaine consiste à mobiliser un grand nombre de salariés pendant une unique journée autour de chantiers solidaires très simples : repeindre une école, débroussailler un terrain vague pour une association, nettoyer une plage, collecter des vieux téléphones à recycler… Le mécénat de compétences peut aussi se développer plus en lien avec les compétences professionnelles sur les gisements de temps de travail peu productifs dans l’entreprise. Il s’agit par exemple du wecena qui mobilise les périodes d’intercontrats (ou “interchantiers” ou “rompu”) en sociétés de conseil ou de services informatiques, ou encore qui peut exploiter les périodes de mobilité interne, de transition de carrière ou permettre de consacrer à une association de solidarité les quelques mois qui précèdent la mise à la retraite d’un cadre supérieur.

Les actionnaires

Les entreprises ont à faire à de multiples sources de pression, via leurs actionnaires, pour renforcer leur RSE. Les autorités publiques traduisent une partie des attentes RSE des investisseurs sous la forme d’obligations légales minimales. Le reporting social puis environnemental est devenu un exercice obligatoire pour les sociétés cotées en France depuis la loi en faveur des « Nouvelles Régulations Economiques » (NRE) de 2001. En matière de relations avec les salariés (« affaires sociales »), d’hygiène et de sécurité (accidents du travail, maladies), les obligations de reporting sont nombreuses. C’est aussi devenu le cas pour l’environnement naturel. Et, pour qu’il y ait reporting, il faut qu’il y ait mesures d’indicateurs quantitatifs et donc un certain effort de modélisation comptable en matière environnementale et sociale. Le reporting aux actionnaires peut ainsi dépasser l’obligation légale et devenir, parfois, un outil de management de la performance environnementale ou sociale.

Quelques agences privées de notation se sont spécialisées dans la notation de la performance sociale et environnementale : les agences de notation extra-financière. Sous leur pression, les entreprises gagnent en transparence… et en motivation pour renforcer leur RSE. Mais la fiabilité des agences de notation a ses limites que la crise de 2008 boursière a révélées. Estimant que les agences de notation n’emploient pas de processus rationnels, des bidouilleurs informatiques soucieux de la responsabilité économique des entreprises proposent des solutions alternatives basées sur la modélisation publique des données financières de ces sociétés (http://www.freerisk.org/).

Certains individus, ONGs ou groupes de pression privés, jugeant que telle ou telle sociétés sont trop peu responsables, s’engagent dans le militantisme actionnarial. Cela consiste à devenir actionnaire de manière à prendre la parole en assemblée générale et interpeler les dirigeants pour les appeler à une plus grande RSE.

L’argent restant le nerf de la guerre, les relations entre une entreprise et ses actionnaires sont un énorme champ d’innovation pour la RSE. A minima, les investisseurs classiques peuvent choisir d’exclure les entreprises d’armement ou de tabac de leurs portefeuilles. Mais les pratiques d’Investissement Socialement Responsable gagnent en maturité et adoptent des démarches plus constructives avec la tendance de l’impact investing. Il s’agit de privilégier des prises de capital dans des entreprises allant au-delà de la RSE car s’engageant sur la production d’un impact social (sociétal ou environnemental) mesurable, au détriment d’une rentabilité financière qui est donc parfois moindre. La méthode du Social Return On Investment permet à une personne défavorisée bénéficiant de l’action de solidarité d’une entreprise d’exprimer, en euros, la valeur qu’elle attribue à cette action. L’investisseur peut alors comparer cette valeur perçue par le bénéficiaire avec le coût consenti pour cet investissement. Il peut ainsi choisir d’investir dans les entreprises au plus fort impact social.

Dans les entreprises à capital altruiste, des pactes d’actionnaires ou les statuts prévoit qu’un pourcentage immuable du capital (et donc les dividendes qu’il produit, mais pas forcément les voix) revient à un organisme d’intérêt général désigné à la création de l’entreprise.

Dans toute entreprise, pour rendre les actionnaires plus solidaires des salariés, une prime de fidélité proportionnelle à la masse salariale peut être prévue en abondement des dividendes annuels et devenir ainsi le miroir de la participation aux bénéfices parfois versée aux salariés. A l’extrême, actionnaires et salariés ne font plus qu’un, comme dans les sociétés de personnes du mouvement coopératif. Les bénéfices sont réinvestis ou distribués aux salariés coopérateurs.

Les générations futures

Pour préserver les possibilités des générations futures, l’entreprise à forte RSE peut chercher à dresser son bilan environnemental : bilan carbone, bilans d’émissions de polluants et autres mesures de l’empreinte environnementale de l’entreprise. Connaître le bilan des polluants, de la consommation en eau ou en matières premières permet de minimiser l’empreinte environnementale et, du même coup, de réaliser des économies. Dans le domaine agricole, cette démarche fonde le concept d’agriculture raisonnée. Le reporting environnemental donne également à l’entreprise les moyens intellectuels pour compenser les effets négatifs des activités : par exemple en plantant des arbres pour captures le dioxyde carbonique émis par des usines ou des transports. Les mesures environnementales globales peuvent donner à l’entreprise l’occasion d’innover en analysant et en optimisant le cycle de vie complet de son produit : depuis sa conception jusqu’à son recyclage en passant par les phases d’achat, de mise en place, d’usage, de mise en déchet. On parle alors d’éco-conception.

L’entreprise étant un moteur essentiel de l’innovation, il ne s’agirait pas non plus qu’elle s’approprie l’exclusivité d’idées ou de connaissances au détriment des capacités d’innovation des générations futures. Les technologies de l’information facilitent le partage des créations intellectuelles. Cette baisse des coûts de partage et de modification des idées représente une menace pour des modèles économiques anciens (industrie du disque, cinéma, …). Pour compenser cette menace du partage, la tentation est forte d’étendre la durée des droits d’auteur et de rendre brevetables des éléments qui ne l’étaient pas (algorithmes et logiciels, connaissance du génome, …). La privatisation accrue des créations intellectuelles introduit des obstacles juridiques à la création, obstacles et défenses qui limitent la capacité d’innover des contemporains et des générations futures. A l’inverse, s’assurer qu’une de ses productions n’est pas encombrée de brevets est un moyen pour l’entreprise responsable d’en assurer une diffusion plus large et de donner aux les moyens de développer leur propre créativité. De même, le copyleft consiste pour une entreprise à utiliser le droit d’auteur pour garantir que les tiers bénéficieront de la liberté d’utiliser les produits de l’entreprise, de les étudier, de les copier et d’en redistribuer des versions modifiées sous les mêmes conditions juridiques. Ces pratiques responsables en matière de propriété intellectuelle encouragent la démocratisation de l’innovation et rendent possibles de nouveaux modèles économiques basés sur l’encouragement de la créativité des clients (marché des pro-amateurs et du do-it-yourself) ou sur la valorisation de la relation avec les créateurs (organisations de concerts, consulting, support…).

Les exclus

Le mécénat de solidarité, même lorsqu’il n’associe pas les salariés, est un autre moyen de soutenir la survie ou le développement humain des personnes les plus éloignées de l’entreprise par le biais du soutien financier aux associations de solidarité. Ceci peut se traduire par la création d’une fondation d’entreprise dédiée à ce soutien ou, pour utiliser une forme juridique plus récente et plus souple, par la création d’un fonds de dotation.

Parfois, l’offre de produits ou services de l’entreprise a pour objet direct la réponse à un besoin insatisfait de ses populations, en France ou à l’étranger. L’activité a alors un impact social direct significatif. C’est le cas par exemple de certaines offres de microcrédit ou de micro-assurance qui permettent aux plus pauvres d’accéder aux services bancaires ou assurantiels dont ils étaient exclus.

Pour pousser à son extrémité la recherche d’impact social au profit des plus démunis, certaines entreprises adoptent le principe du social business. Il s’agit de viser exclusivement la création d’un impact social ou environnemental positif et de ne reverser aucun dividende aux investisseurs tout en leur permettant de sortir du capital. Les bénéfices d’un social business sont réinvestis ou servent à rembourser les investisseurs pour leur permettre de sortir du capital mais sans intérêts financiers. Les parts ainsi libérées deviennent alors la propriété d’un organisme d’intérêt général gouverné démocratiquement par les personnes en difficulté bénéficiant de l’entreprise. C’est le cas de la Grameen Bank du prix Nobel de la Paix Mumahad Yunus, au Bangladesh et de toutes ses filiales. C’est aussi le cas de la joint-venture Danone-Grameen qui est dédiée à l’amélioration de la nutrition et du développement économique des populations pauvres au Bangladesh et qui est le premier exemple au monde de social business filiale d’un grand groupe privé « classique ». Une entreprise en social business est faite pour “faire le bien” de manière économique viable mais pas pour “faire de l’argent”.

Dans un esprit similaire, pour lutter contre la pauvreté, 800 entrepreneurs du mouvement chrétien des Focolari ont décidé de mettre leur entreprise au service des plus pauvres. Quel meilleur moyen, pour “faire de l’argent” et l’offrir aux plus démunis, que de créer ou développer une entreprise performante, responsable et profitable ? L’ambition de ce mouvement de l’économie de communion est double : lutter contre la pauvreté grâce aux dons des dividendes et montrer que l’on peut vivre, jusque dans le management quotidien de l’entreprise, une culture du don qui met l’entreprise au service de l’ “amour de son prochain”.

L’entreprise peut-elle devenir sociale ?

De l’environnemental au social en passant par l’économique, le spectre de responsabilité des entreprises est large. Et le curseur peut être poussé plus ou moins loin : depuis l’entreprise qui respecte ses obligations légales (et notamment fiscales) jusqu’à celle dont la finalité est davantage (voire exclusivement) environnemental ou social qu’économique en passant par l’entreprise “à forte RSE”. La notion d’entreprise sociale désigne justement cette catégorie d’entreprises pour lesquelles la recherche d’impact environnemental ou social dépasse significativement la recherche de profitabilité financière. L’avenir semble être fait d’entreprises appelées à être plus responsables. Mais l’entreprise responsable peut-elle évoluer progressivement jusqu’à devenir sociale ? Ou ce luxe est-il est-il trop révolutionnaire et réservé aux entrepreneurs sociaux qui inscrivent cette finalité de solidarité dans l’ADN-même de leur création ?

Entrepreneurs en communion

Lutter contre la pauvreté et faire de l’entreprise un lieu d’amour, de partage et don. Voici des objectifs des entrepreneurs de l’économie de communion. L’an dernier, certains d’entre eux se réunissaient, en France, pour faire un point et partager. Avec beaucoup de retard, je retranscris ici quelques témoignages notés lors de ce séminaire :

La transparence

Un promoteur : Dans mon activité, j’achète des maisons à démolir. Elles sont voisines mais je les achète à des prix différents. Il y a bien sûr négociation sur les prix. Et, sur certains projets, je promets une prime de performance secrète aux meilleurs partenaires. Mais ces partenaires sont aussi des voisins. Et, lorsque les secrets sur les primes sont levés, cela créé des jalousies, des tentatives de renégociation, des convoitises. Je me demande comment gérer ces situations. Faut-il couper la poire en 2 ?

Un artiste : Le secret est illusoire.

Un recycleur : La transparence totale, ce n’est pas facile. Mon objectif à moi, c’est de créer de l’emploi. Ce n’est pas la pratique habituelle dans le secteur car plus les volumes de recyclage augmentent plus la tentation est forte de réduire la main d’oeuvre. Notre politique, c’est donc d’être transparent et de « jouer » sur le relationnel avec les fournisseurs. Mes concurrents, ce sont de grands groupes qui ne sont intéressés que par le profit. Mais moi, je maintiens mes prix au-dessus des prix du marché. Mes fournisseurs ont peur que des grands groupes, si ils obtiennent une situation de monopole, se mettent à imposer leurs prix à la baisse.

On a mis en place une forte stratégie de traçabilité, c’est super pour offrir de la transparence. Mon rêve, ce serait d’arriver à créer un écosystème local dans lequel les produits de nos clients (fabriqués à nos matériaux recyclés) termineraient leur vie comme matière première de nos fournisseurs.

Le juste prix

Un artisan du Sud : Vera dit que l’économie de communion doit être plus productive pour se développer. Mais comment passer le cap des 5 ou 10 salariés ? J’ai négocié mes accords commerciaux 2010 avec un de mes distributeurs de produits bio, il a accepté et il y a eu un miracle : il ne m’a fait aucune demande de remise de fin d’année car il aime notre relation et notre attitude partenariale !

Un grossiste : Si tu te développes, c’est bien car tu développes aussi l’économie de communion. Mais, en même temps, tu nuis au concurrent si tu es sur un marché saturé et qui n’est pas en croissance. Par exemple, sur mon marché, le leader vient de déposer le bilan.

Un industriel du Nord : L’important, c’est de se développer de façon juste. La fin ne justifie pas les moyens donc le développement de l’entreprise ne peut pas être justifié par le développement de l’économie de communion, ce n’est pas suffisant. Qu’est-ce qu’un prix juste ?

Un grossiste : Celui sur lequel on s’accorde ?

Un industriel du Nord : Je viens justement de perdre un marché en cours de négociation car j’ai refusé de poursuivre des enchères sans fin…

Un grossiste : C’est plutôt normal de vouloir enchérir à la baisse pour emporter un marché. Maintenant, un client qui ne négocie pas sans fin et accepte les prix initiaux, c’est bien … Mais quand un nouvel entrant propose un prix plus bas, je préfère une ré-ouverture des négociations ! Par exemple, mon prix initial était juste mais il pouvait s’ajuster encore un peu. La question n’est pas « quel est le prix juste ? » mais plutôt « quel est le bénéfice juste ? » alors qu’on veut justement maximiser le bénéfice [pour l’offrir aux plus pauvres]. Je témoigne actuellement pour l’économie de communion dans un lycée. Et on me demande « Est-ce que la recherche de bénéfices dans l’économie de communion peut justifier des sacrifices sur les salaires ? ». Ca, c’est une vraie question !

Un artisan du Sud : La justice précède l’amour ! Avant de penser au partage avec les pauvres, il y a la justice sociale. L’exigence de l’économie de communion, c’est de devoir être plus créatif. Par exemple, il faut trouver des solutions financières créatives pour couvrir ses achats de matières premières (risques de fluctuation des cours sur les matières premières). »

Un paysagiste, soutenu par un assureur : Béni le concurrent qui vient de gagner l’affaire ! Je travaille avec un architecte qui vit mal de ses études. Je sais qu’avec certains concurrents, il demande donc des marges arrières ou une commission d’apporteur d’affaire. Moi, l’opacité de ce mode de fonctionnement (vis-à -vis du client) me gêne. Il le sait. Alors il n’a pas osé me proposer cette technique. Ca m’a touché !

Un recycleur : Moi aussi, je suis mal à l’aise de cette tension entre salaires et bénéfices…

Un paysagiste : Il ne faut pas trop s’en faire non plus : peut-être que ton salarié va faire un don à son tour, avec son augmentation ?

Une consultante : Pour moi, les bénéfices, ce sont vraiment les surplus. Et le plus important, ce n’est pas le don lui-même mais le désir du don dans la liberté.

Chacun sa crise

Un promoteur : En 2008, j’ai failli mettre la clef sous la porte car mon marché était en crise. Mais je n’ai pas licencié grâce à la loi d’aide à l’accession à la propriété.

Une apicultrice : J’ai embauché un saisonnier agricole sur un contrat précaire (pas d’ASSEDIC pour lui !). Notre état moral était dramatique en fin de saison. L’interlocutrice des administrations que j’avais au bout du fil a réalisé la situation. Comment faire un contrat annuel pour cet ouvrier ? Mon comptable me dit que mon entreprise n’a aucun intérêt à « déprécariser » cet ouvrier agricole !

Le problème de mon entreprise, ce n’est pas le manque de client, au contraire : je refuse un client par semaine faute de marchandise ! Les clients sont très contents des produits. Par exemple j’ai eu une commande d’un client suisse. La DGCCRF a fait une analyse de mon miel en labo et les résultats étaient tous positifs alors le client a pris la peine de me remercier. Non, mon problème, ce sont mes ouvrières ! Mes populations d’abeille se sont effondrées. C’est la grève générale !

La marge, le bio et la qualité

Un artisan du Sud : Nous avons une nouvelle gamme bio qu’on a lancé avec un positionnement haut de gamme et qualité. On a pris une super raclée car nous ne sommes pas les premiers et l’offre concurrente sur ce segment est trop large. Alors nous nous sommes remis en question et avons décidé de faire plus attention à la concurrence. On avait trop envie d’une marge plus grosse. Finalement, on a décidé de garder la qualité et de casser les prix pour chercher des gros volumes.

Nous n’avons pas de scrupules à adopter cette stratégie par rapport à la concurrence car la marge médiane du secteur est trop élevée. Nous voulons « proposer un prix honnête pour de la qualité ».

Un agriculteur : Moi, je ne vais pas baisser mes prix car il y a plein d’amour et de savoir-faire dans mes produits. Les consommateurs n’achètent pas qu’un produit mais aussi un savoir sur le produit (savoir comment il est fait). Les consommateurs ne sont pas prêts à payer vraiment plus cher pour du bio, ils vont au moins cher.

Un recycleur : Mon fils est agriculteur. Pour pouvoir vendre du bio (plus cher à produire), il invite ses clients à venir arracher les mauvaises herbes le samedi et il en profite pour leur expliquer le produit.

Innover en cohérence

? : Beaucoup de nos questions sur les alternatives, les tensions entre les contraires et les justes compromis se sont résolues par un sursaut de créativié. Dans ma paroisse, je parle souvent de cette approche de l’économie de communion. J’aimerais qu’on témoigne plus souvent et plus largement, et pas simplement à l’occasion de grands colloques. On devrait valoriser plus largement la créativité des entrepreneurs de l’économie de communion.

Une consultante : Et leur recherche de cohérence.

Un promoteur : Les bâtiments « basse consommation », ça coûte plus cher. Est-ce trop cher ? Ca coûte plus cher en matière grise (bureaux d’études) mais pas en matériaux de construction. Alors, il y a un peu plus de risque et il y a les habitudes, du coup on peut hésiter à se lancer sur ce créneau et préférer rester accrochés à ses vieilles pratiques de constructions. Innover, c’est aussi se battre contre soi-même.

Un artisan du Sud : L’économie de communion est à inventer dans l’entreprise mais aussi dans notre métier : ça demande des compétences en marketing et de la matière grise.

Un minier : Il y a un projet de TGV proche de notre carrière de sable et gravier. Alors on se demande si on ne devrait pas investir sur une centrale à béton sur notre carrière vu qu’on a déjà 50% de la matière première et je pourrais vendre 25% de ma production à la cimenterie proche. Mais pour rentabiliser cette centrale, il faudrait piquer des marchés locaux voire concurrencer mes clients… Est-ce la meilleure chose à faire ? Pour me développer, je dois choisir entre concurrencer ou innover en proposant de nouveaux produits de construction. Pas facile…

Un recycleur : Pourquoi je bosse ? Pas pour gagner mais pour créer ! Pour le plaisir de sortir de nouveaux produits.

Une hôtellière : Ma nouvelle activité, depuis 2009 (chambres d’hôtes + maraîchage) démarre bien mais je manque de visibilité car les réservations sont rares et les clients viennent plutôt « à la dernière minute ». 50% de mes clients viennent du réseau perso et 50% par les Gîtes de France.

Un artiste : Je voudrais acheter une maison pour accueillir les gens qui sont à la rue, peut-être dans le centre de Fontainebleau ? Ca coûterait entre 700 kEUR et 1MEUR. J’ai écrit 3 livres et disques pour commencer à financer ce projet. J’ai acheté beaucoup de publicité pour mon livre. Le livre est vendu à 15 EUR mais une personne m’en a donné 100 EUR ! Et les personnes à la rue l’achètent à 20 EUR ! Pour pouvoir participer à un salon promotionnel, j’ai été hébergé gratuitement par la mère d’un gars à la rue avec qui je travaille. C’est ce qui m’a décidé à aller à ce salon car j’hésitais beaucoup… En fait, le résultat de ce projet m’importe peu. Ce n’est pas mon argent qui est en jeu, c’est le Sien. Je fais juste ce que j’ai à faire. La plupart des journalistes chrétiens et professionnels de l’édition catholique me disent « vous êtes trop illuminé, trop déconnecté. » Mais ça ne m’empêche pas d’être confiant : la maison va venir en 2010.

L’un de mes principaux clients vient de rompre son contrat avec moi après 5 ans de bon fonctionnement car « vous êtes trop cher » m’ont-ils dit. Mais ils ont pris un musicien concurrent au même prix que moi ! Cette année, ce client m’a rappelé et m’a demandé de revenir 100% du temps puis une fois sur 2.

Un inventeur : Je mène un projet d’innovation industrielle en éco-conception d’emballage carton. C’est difficile. Ces innovations ne sont pas protégeables par brevet mais par les droits d’auteur (dépôt de modèle). Et il faut 5 à 6 ans pour qu’un projet de ce genre aboutisse à des royalties. Pour autant, je suis transparent sur ma marge espérée mais ce n’est pas la pratique du secteur. Ma transparence un peu débile en fait, mais mon business model me permet d’être débile sur ce point. C’est un peu de la provoc vis-à-vis des multinationales du secteur. Il faut dire que mes partenaires sont mes concurrents car ils ont leurs propres bureaux d’études internes. Je ne vis pas l’amour avec eux. Ce sont des multinationales. J’essaie juste de rester cohérent en leur parlant de l’économie de communion. La prière de l’économie de communion qu’avait proposé F me sert. En attendant les royalties possibles de mon innovation, je vis d’une activité de maître de conférences et d’un projet Internet. La prière m’a aidé à réaliser ma cupidité.

Une restauratrice : Je vais créer mon entreprise le mois prochain. Je suis habituée à la sécurité financière et je commence à réalise le risque financier que je prends. Je vais perdre ma sécurité et ça me fait peur. J’ai eu une boule au ventre quand la banque m’a accordé son prêt.

Un recycleur : Tes craintes sont la preuve que tu es responsable.

Une restauratrice : J’organisais des événements sportifs, comme salariée, dans le Nord. Je me suis recyclée dans la restauration (traiter pour les fêtes des particuliers et plateaux repas pour les entreprises). J’ai hésité entre plusieurs projets (resto ? traiteur ? camion de restauration ?) J’ai eu des hauts et des bas. Je me suis remise en question. J’ai décidé de « me laisser conduire ». L’entreprise que je vais créer sera le fruit de cela… A titre de formation, j’ai fait des repas événementiels.

Un industriel du Nord : Vive le Nord !

L’engagement

Un consultant : Nous avons réfléchi à ce qui fait les spécificités de l’économie de communion. Ce n’est pas un label mais ces spécificités méritent une attention suivie de notre part pour savoir où chacun se positionne. Nous avons identifié 5 critères :

  1. Mettre l’Homme à la 1ère place dans l’entreprise (ou prendre Dieu comme associé, si on est croyant.)
  2. Donner les bénéfices de l’entreprise aux plus pauvres et à la formation à la culture du Don
  3. Être cohérent dans son entreprise et dans sa vie. Ce n’est pas avoir une entreprise parfaite. Ce n’est pas un résultat mais une volonté, un engagement de moyen.
  4. Se former, se transformer, progresser. Participer aux 2 rencontres annuelles.
  5. Témoigner, accepter de témoigner publiquement, avec d’autres.

Nous avons fait des fiches de reporting par entreprise et un dialogue annuel pour faire le point avec chaque entrepreneur. D’autres critères sont importants :

  • l’entreprise doit exister
  • la famille doit pouvoir en vivre
  • la personne doit bien sûr être demandeur

Si l’entrepreneur ne vient pas du mouvement des Focolari, il y a une phase probatoire appelée « en phase d’être lié à la Mariapolis permanente ».

Un assureur : C’est un engagement vis-à-vis de Dieu et vis-à-vis des hommes.

Un grossiste : Au début, c’est flou ces critères et on besoin de savoir.

Philippe : La priorité, pour moi, c’est de témoigner par les actes (plus que par les discours).

Un grossiste : On me demande souvent si mes salariés sont parties prenantes de mon engagement. Ce n’est pas facile de les impliquer.

Un assureur : Il faut que ça transpire au fil du temps à notre insu.

La sociologue : Le vivre, ce n’est pas forcément l’afficher. Il y a un vrai risque de ne pas avoir des pratiques à la hauteur du discours.

L’implication des salariés

Un grossiste : Nous allons ouvrir notre capital aux salariés. On se demande comment le leur expliquer.

Un assureur : Il faut être très clair avec les futurs actionnaires.

Un grossiste : Si l’économie de communion est un critère d’entrée à l’actionnariat, il y a un vrai risque de scission entre salariés et donc un risque de ségrégation.

Une sociologue : La Banco Kabayan a des actionnaires et les dons se font sur les dividendes, pas sur les bénéfices. Chaque actionnaire est libre de donner ou non.

Un assureur : J’essaie de ne pas être fleur bleue en matière de confiance aux associés. La confiance n’empêche ni le contrôle ni le discernement. L’important est déjà de ne pas faire entrer au capital un associé qui mettrait les salariés en souffrance. Par exemple par sa manière de manager.

Une sociologue : Ca me rappelle cette expérience qui avait été racontée au journaliste de la chaîne KTO : un entrepreneur avait priait « que Dieu nous envoie les pauvres » puis avait reçu une demande d’embauche d’un sans-papier. Il ne l’avait pas embauché car il avait l’air « louche ». Puis un jeune drogué avait candidaté. Il l’a embauché car il a senti qu’il pouvait quelque chose pour lui (un peu par paternalisme ?).

Un assureur : Nous sommes des chrétiens sous-développés ! D’ici quelques années, soit l’économie de communion décolle, soit on va au crash. Nous avons dépassé un point de non-retour et nous avons une « bombe d’amour à bord » ! Il n’y a pas de pôle d’économie de communion (de laboratoire) sans Mariapolis. Il nous en faut une ! Pour enrichir notre manière de vivre par une expérience de vie qui inclue la vie de famille.

Un assureur : Je fais 2 propositions :

  1. engageons-nous tous à prier quotidiennement pour faire grandir notre désir d’une Mariapolis
  2. il nous manque de l’argent alors mettons chacun entre 1.000 et 100.000 EUR dans un tronc pour construire le bâtiment qui nous permettrait d’avoir une Mariapolis à Arny.

Une sociologue : On pourrait construire un local industriel et commercial et mettre en place un fonds financier à 50 EUR par action ?

Fin

Et voila pour mes notes… Je regrette de ne pas pouvoir participer aux autres rencontres qui ont lieu à l’étranger (la prochaine est en Suisse) pour mieux se connecter avec les entrepreneurs de l’économie de communion à travers l’Europe. Pour ma part, mon objectif avec Wecena reste de trouver pleinement ma place dans l’économie de communion. Ce n’est pas chose faite tant que je n’ai pas atteint mon seuil de rentabilité (entre 3 et 4 volontaires en équivalent-temps plein) et donc tant que je n’ai pas de bénéfices à partager avec notre associé invisible

Retrouvez les entrepreneurs français de l’économie de communion sur Linked In, Viadeo et Facebook.

Défi wecena, 4ème étape = défoncer les portes des SSII

Nouvelle étape dans la préparation du mini-défi étudiants du mois de juin au profit de la bibliothèque numérique pour aveugles BrailleNet et nouveau point avec les élèves ingénieurs de l’ENSEIRB :

  • déjà 3 équipes ! Valentin, Christelle et Nicolas ont réussi leur mission : ils ont convaincus d’autres élèves de relever le mini-défi et ont constitué 3 équipes prêtes à rendre un maximum de livres lisibles par des aveugles via la bibliothèque numérique de BrailleNet. Il ne manque plus qu’au moins un volontaire en intercontrat prêté par une SSII pour que le défi puisse commencer
  • mais zéro SSII inscrite… Le volontaire de chez G………n, qui soutient Braillenet, termine son intercontrat aujourd’hui, zut ! (et aucun de ses collègues ne s’est porté volontaire pour le moment… bouh :(   ). Du côté de A….e à Bordeaux ils n’ont pas d’intercontrat mais sont intéressés. Leur directeur d’agence et leur directeur régional doivent donner leur feu vert sur le principe, en « espérant » (pas pour eux) un inter-contrat sur Bordeaux dans le courant du mois de juin. Chez G…………n, on attend la réponse de l’agence de Bordeaux pour savoir si une rencontre est organisable.
  • un mailing aux anciens de l’ENSEIRB : un premier mailing aux 18 anciens de l’ENSEIRB qui sont en SSII en Gironde est parti cette semaine mais pas encore de retour concret. Nous décidons d’élargir le mailing à toute la France et, pour cela, de demander à l’association des anciens de l’ENSEIRB un accès à l’annuaire sous forme électronique. Cette fois, ce seront les élèves qui enverront directement le mailing, de manière à améliorer le taux de retour (« Cher camarade, … ») en m’indiquant comme représentant de BrailleNet pour toute information sur le fonctionnement. Je leur envoie les critères de ciblage = travaille en SSII de plus de 30 personnes et une proposition de texte.
  • secouer les SSII : puisque les portes des SSII n’arrivent pas à s’ouvrir, on va tenter de les défoncer… en donnant un bon coup de bélier dans leur portefeuille. C’est l’idée de mon offre promotionnelle « prêtez au moins un intercontrat à BrailleNet d’ici fin juin et économisez jusqu’à 15% du salaire de vos intercontrats » (en fonction du volume de don de la société mécène : plus elle donne, plus elle gagne). On m’a trop souvent objecté « nous ne souhaitons pas faire du wecena car ça ne rapporte pas d’argent » et autres « améliorer les relations avec nos salariés ne fait pas partie de nos priorités, surtout si ils sont en intercontrat » (sauf chez Groupe Open, et les autres mécènes qui font du wecena, bien sûr). Donc, pour élargir le cercle des mécènes, on va tenter les soldes de printemps et voir si cela permet de faire avancer le  projet de BrailleNet et le mini-défi avec l’ENSEIRB.

Le comité d’organisation Wecena/ENSEIRB se donne rendez-vous jeudi prochain par Skype, en espérant avoir des nouvelles plus positives à partager du côté des SSII et de leurs volontaires.

Propales de sortie de crise

Rien à voir avec des propositions à faire à des clients… Je prends le temps, aujourd’hui, de réfléchir aux propositions que l’économie de communion pourrait inspirer à notre gouvernement et au G20 pour nous aider à sortir transformés de la crise économique actuelle. Vous vous souvenez peut-être d’une allocution télévisée de Nicolas Sarkozy fin 2008 : « et si on partageait autrement les bénéfices des entreprises : un tiers pour être réinvesti, un tiers pour les salariés, un tiers (seulement) pour les actionnaires ? ». A l’époque, ça avait marqué plusieurs entrepreneurs qui pratiquaient depuis plusieurs années un partage un peu différent : « un tiers pour être réinvesti, un tiers pour promouvoir la culture du don et de l’amour de son prochain dans les entreprises, un tiers pour les plus pauvres ». C’est en effet l’une des bonnes pratiques de l’économie de communion.

Aujourd’hui, le gouvernement s’interroge et consulte ces entrepreneurs : que pourrait-on proposer au G20 pour aller plus loin vers une « refonte du capitalisme » comme disent certains auteurs ?

Alors je jette ici en vrac mes idées. La dernière est celle que je préfère car c’est celle qui est le plus directement inspirée de l’économie de communion.

1) Promouvoir le capital altruiste :

Une entreprise qui entre dans ce système dédie X% de son capital à des organismes d’intérêt général qu’elle choisit et ce pourcentage reste constant à chaque variation de capital. Les organismes d’intérêt général n’ont pas forcément les droits de vote correspondant, il s’agit essentiellement d’un moyen de les financer sans interférer avec la gestion de l’entreprise. C’est différent de l’esprit de l’économie de communion dans la mesure où une entreprise en capital altruiste peut être pourrie jusqu’à l’os mais, du moment qu’elle rapporte des dividendes, ses « actionnaires » d’intérêt général peuvent en profiter.

Plus d’infos sur http://www.capital-altruiste.org/fr/.

L’objectif est non seulement de financer directement les organismes d »intérêt général mais également d’indexer ce financement sur la croissance économique. Des avantages fiscaux pourraient être consentis à ces entreprises en
fonction de leur indice de capital altruiste ?

2) Introduire un statut juridique inspiré des L3C américaines :

L’administration Obama s’intéresse à un nouveau statut de société à profit modérés qui permet, si je comprends bien, d’institutionnaliser des sortes de joint ventures entre sociétés et organismes d’intérêt général, avec un fonctionnement fiscal proche des GIE : la L3C elle-même ne paie pas d’impôs mais c’est à chaque participant de prendre en charge la fiscalité de la L3C selon les règles qui s’appliquent à lui et selon son pourcentage de participation.

http://en.wikipedia.org/wiki/L3C
http://www.fredcavazza.net/2009/05/10/vers-un-nouveau-modele-daffaire-avec-lentreprise-a-profit-modere/

L’objectif est de faciliter les partenariats (et donc le dialogue et la coopération) entre entreprises et ONG, de faire un pont entre non-profits et for-profits.

3) Introduire en France les social businesses à la Yunus

Je n’ai pas lu le bouquin mais, à ce que je comprends, la principale différence juridique entre un social business à la Yunus et une association loi 1901, c’est que les investisseurs peuvent retirer leur capital à la fin alors que, pour l’asso loi 1901, le capital reste consacré ad vitam eternam à l’objet social de l’asso et, même si l’asso
est liquidée, il doit être transféré à une asso à objet équivalent.
L’avantage éventuel d’un tel statut serait d’encourager le développement de l’entrepreneuriat social.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Social_business

Dans mon cas perso, je me suis lancé dans l’entrepreneuriat social en créant une SARL. Je n’ai pas créé une association car il s’agit d’un projet individuel et non collectif. Je n’avais donc pas vocation à m’entourer d’associés. Pour une entreprise individuelle de ce type, le statut juridique le plus naturel est la SARL à associé unique. Pour autant, je vise avant tout un objectif social d’intérêt général et non l’idée de faire fortune.

Ce qui manque vraiment pour développer l’entrepreneuriat social, ce serait un statut juridique adapté qui permet :

  • de se lancer seul, comme une SARL à associé unique,
  • de bénéficier de la protection d’une SARL,
  • de rémunérer du capital financier mais avec un plafond,
  • de bénéficier du régime fiscal du mécénat sans pour autant interdire à l’entrepreneur de se rémunérer, et donc en proposant une alternative au critère de gestion désintéressée ; ce critère de bénévolat des dirigeants est une condition sine qua non pour pouvoir bénéficier du régime fiscal du mécénat, alors qu’il devrait pouvoir être remplacé par des critères de contrôle exercés par des organismes d’intérêt général à gestion désintéressée, comme c’est indirectement le cas pour des SARL filiales de groupes associatifs d’intérêt général

Cela mériterait un truc un peu plus français que les social business à la Yunus mais en restant à peu près dans le même esprit. L’objectif serait d’encourager davantage de créations d’entreprises visant directement à résoudre des problèmes de société.

4) Renforcer encore le régime fiscal du mécénat

La France est déjà le paradis fiscal du mécénat. Mais plusieurs choses pourrraient être faites pour s’appuyer sur cet atout français :

  • relever le plafond fiscal du mécénat pour les PME (actuellement c’est 0,5% du CA pour tous) de manière à encourager toutes les entreprises à faire du mécénat et pas uniquement celles qui ont des compétences de communication institutionnelle suffisantes pour rentabiliser leur politique de mécénat,
  • allonger le délai d’exercice du droit à l’économie d’impôts au titre du mécénat ; actuellement, si vous faites un don mais n’êtes pas assez bénéficiaire sur les 5 années suivantes, alors l’économie d’imôts est perdue (ce n’est pas un crédit d’impôt remboursable) ; or on est embarqué pour une crise qui risque de durer bien plus que 5 ans (plutôt de l’ordre de 10 ans si on regarde l’évolution du PIB pour les crises de 1873 et de 1929, je crois) ; comment encourager les entreprises à se montrer solidaires au plus fort de la crise si on ne leur octroye pas leur avantage fiscal au moins jusqu’à la fin de la crise ?
  • la France pourrait encourager plus activement les autres pays de l’UE et du G20 à répliquer son régime fiscal du mécénat ; en particulier, là où il y a le plus de gisement de ressources d’entreprises à transformer en dons, c’est dans les ressources en nature qui restent inexploitées voire son gaspillées, (non pas dans les comptes en banque) ; par exemple, les industries agro-alimentaires peuvent donner des invendus aux banques alimentaires ; les industriels peuvent donner leurs invendus à des organisations humanitaires ; les sociétés de service en informatique peuvent donner leurs temps morts sous forme de wecena (pub !) ; le régime français encourage le don en nature bien plus que les régimes équivalents à l’étranger ; voila un axe de progression pour le G20.

5) Rendre transparentes les méthodes de notation et d’évaluation des risques

Il s’agit de forcer les agences de notation à publier leurs méthodologies de notation. Autrement dit, interdire l’exercice de l’activité de notation du risque de défaillance des entreprises et des emprunteurs à tout organisme qui ne divulgue pas ses méthodes de calcul dans le détail. En effet, ce n’est qu’en divulgant ces méthodes d’ingénierie d’évaluation du risque qu’on peut espérer capitaliser sur ces méthodes, en évaluer la fiabilité et la performance, les améliorer et progresser collectivement en la matière. La recherche scientifique ne peut progresser que parce que les affirmations des scientifiques sont appuyées par des publications complètes, reproductibles dans des conditions expérimentales similaires et donc que l’on peut contredire ou améliorer. Loin des rigueurs de la science, les agences de notation reflètent plutôt l’abitraire, la réputation et les illusions collectives. Nous souffrons tous du manque de fiabilité des systèmes actuels d’évaluation des risques financiers, sociaux et environnementaux. Il faudrait donc que ces systèmes soient soumis aux même impératifs de publicité que ceux des sciences pour qu’ils gagnent en fiabilité et donc nous en sécurité. Un groupe américain de chercheurs et d’entrepreneurs travaille d’arrache-pied sur ce sujet et propose déjà des outils et méthodes pour rendre ce champ d’activité public, transparent et fiable.

cf. le site http://freerisk.org et leur vidéo de présentation.

6) Représenter l’intérêt général des entreprises via les dons consentis par leurs parties prenantes, comptabiliser la solidarité autour de l’entreprise

Le point fort de la proposition de l’économie de communion, c’est d’introduire une démarche libre, désintéressée et volontaire de don, un don qui vient du coeur ; mais jusqu’ici ce don est personnel (c’est l’actionnaire qui donne à titre individuel) alors que, ici et maintenant, on parle des moyens d’inscrire ce don dans une démarche collective d’entreprise et de société, pour sortir transformés de la crise.

Mon idée serait donc de trouver un moyen pour pouvoir promouvoir et célébrer collectivement la culture du don autour de chaque entreprise. De célébrer (ou, au contraire, de sanctionner par le silence) l’entreprise comme vecteur d’avancement de l’intérêt général, de la société comme outil solidaire de redistribution des richesses.

Il s’agirait donc que l’Etat oblige l’entreprise à poser officiellement la question d’un don individuel, libre, volontaire et désintéressé  à chaque partie prenante : l’actionnaire, le mandataire social, le salarié, le client, le fournisseur… et à publier la réponse qu’elle en obtient. Plus précisément, il s’agirait que l’entreprise propose à chaque partie prenante d’affecter à un don d’intérêt général une partie de sa dette envers cette partie prenante (les dividendes qui doivent lui être versés, sa prime de fin d’année, l’abondement sur son épargne salariale, son avoir, le réglement de sa facture…) et à rendre des comptes quant à la générosité que l’entreprise inspire. Concrètement, voila comment cela pourrait se passer :

  1. C’est l’entreprise qui propose aux parties prenantes un ou des bénéficiaires possibles, forcément d’intérêt général (art. 238 bis du CGI), par exemple en vue de sa prochaine AG. Faire cette proposition devient une obligation légale et sanctionnée en cas de manquement (amende et surtout publicité de la sanction). Le bénéficiaire proposé peut être la fondation éventuelle de l’entreprise ou son fonds de dotation d’intérêt général.
  2. Chaque partie prenante peut ensuite librement, et en toute confidentialité, répondre à l’entreprise : « non merci, je garde pour moi ce que l’entreprise me doit » (mes dividendes, ma prime, mon épargne salariale, le réglement de ma facture, mon avoir…) auquel cas il n’y a aucune conséquence particulière, sa dette lui est réglée. Au contraire, elle peut librement répondre « oui, je décide d’en donner x euros à tel bénéficiaire » et ces dons ont leurs conséquences fiscales habituelles. L’entreprise verse ce montant au(x) bénéficiaire(s) choisi(s) par le donateur dans la liste proposée par l’entreprise. Mais c’est le donateur, comme d’habitude, qui reçoit le reçu fiscal émis par le bénéficiaire. Le donateur aurait pu choisir d’empocher ce que l’entreprise lui devait et ne pas faire de don (« je garde tout pour moi car l’entreprise ne me paie déjà pas beaucoup, alors…« , « je suis un fonds de pension bête et méchant et mes actionnaires ne veulent pas que je fasse du mécénat »). Ou bien faire un don direct sans passer par l’intermédiaire de l’entreprise (« je ne vois pas pourquoi je me montrerai comme solidaire de mon entreprise pour verser mon don annuel aux restos du coeur alors que mon entreprise ne mérite pas cela »). En acceptant de faire un don via ce mécanisme de solidarité d’entreprise, il accepte simplement que l’entreprise en question rende compte que l’un de ses actionnaires (ou l’un de ses salariés, ou de ses clients) a fait ce don « en tant qu’actionnaire » (ou en tant que salarié, …).
  3. Dans tous les cas, le résultat final est obligatoirement rendu public: « au total, cette année, nos parties prenantes ont donné tant d’euros« . La répartition de ce résultat par catégorie de partie prenante devrait également être rendue obligatoire (les salariés ont donné tant, les mandataires sociaux ont donné tant, les actionnaires ont donné tant, …) ce qui donne aux dirigeants un outil de management et de dialogue social sacrément intéressant. L’obligation de publication de répartition de ces dons par catégorie de partie prenante pourrait éventuellement ne s’appliquer qu’au-delà d’une certaine taille d’entreprise de manière à camoufler l’identité des donateurs personnes physiques (vie privée). Eventuellement, on pourrait imaginer que cette publication soit limitée aux seuls parties prenantes et à l’Etat lorsqu’on a affaire à une petite entreprise familiale…
  4. C’est la publication au sujet de ces dons associés à l’entreprise qui donne son sens au mécanisme. Ensuite, au moment de l’AG, on annonce donc combien chaque catégorie a donné et on célèbre collectivement les dons consentis (libre aux donateurs de s’identifier individuellement ou non, c’est à chacun de voir) ou bien on prend simplement acte que personne n’a rien donné cette année (« chacun pour soi ! ») ; on peut compter sur les services communication des entreprises pour mettre en scène l’annonce des dons (façon Téléthon-maison…). De manière optionnelle, certaines entreprises pourraient choisir d’abonder les dons consentis par certaines de ces parties prenantes : « pour chaque euro que nos clients donneront aux bénéficiaires que nous proposons, l’entreprise donnera un euro supplémentaire au titre de son mécéant d’entreprise« .

Les dons restent personnels, libres et volontaires comme dans l’économie de communion. Le seul changement, c’est que l’Etat forcerait les entreprises à poser cette question lors de leurs AG et à comptabiliser les résultats, l’Etat « interpellerait » ainsi la bonne volonté de toutes les parties prenantes de toutes les entreprises (et non les entreprises elles-mêmes). Il y a un coût pour l’entreprise (choisir des bénéficiaires, demander à chacun son avis, verser les dons aux bénéficiaires et faire parvenir les reçus fiscaux aux donateurs) mais celui-ci est minime eu égard aux bénéfices en termes d’images et de management que l’entreprise solidaire peut en tirer.
La conséquence attendue est de promouvoir la culture du don par le biais des individus parties prenantes de l’entreprise, autour de l’entreprise comme lieu collectif de don de soi ; autrement dit, l’Etat insère une nouvelle condition dans le fait d’octroyer à des groupes d’individus la protection du statut juridique de société. Cette condition consiste à rendre la société plus transparente et plus responsable quant à l’usage qui en est fait par chacune de ses catégories de parties prenantes en tant que vecteur d’avancement de l’intérêt général. Les sociétés qui seront le plus utilisées comme vecteurs de don pour l’intérêt général gagneront un avantage en termes de réputation et d’image. Les sociétés qui seront les moins utilisées comme vecteurs collectifs de don individuels pour l’intérêt général ne bénéficieront pas de cet avantage. On donne la possibilité à chaque partie prenante d’associer ou non sa générosité personnelle et individuelle à l’image de l’entreprise, et de changer d’avis d’une année sur l’autre, pour exprimer ce qu’il/elle ressent quant au niveau de responsabilité sociale et environnementale de l’entreprise en question.

Voila. Qu’en pensez-vous ? Et vous, quelles sont vos pistes ?

Donnez, c’est gratuit

Ces derniers temps, je découvre de multiples sites en ligne et hors ligne qui vous proposent de faire don de vos objets d’occasion à qui voudra les adopter. Un peu comme ebay mais sans les enchères et sans la carte bleue. Tour d’horizon :

  • Le pionnier américain, c’est sans doute freecycle : des listes de diffusions organisées géographiquement, vous dites ce que vous voulez donner et les gens intéressés passent chercher vos affaires au lieu de rendez-vous convenu.
  • Donnons.org c’est la même chose mais via le web plutôt que par mail.
  • Le Grand Don, c’est la même chose, mais sur un pont parisien plutôt que sur le Net.
  • Les Zones de Gratuité, c’est encore pareil, dans certains quartiers.
  • Et la Société Générale qui donne 5% de son capital à une ONG (le temps d’un 1er avril) ?

Après ça, pourquoi s’étonner que les entreprises engagées dans le mouvement de l’économie de communion décident de reverser leurs bénéfices aux plus pauvres ?

Economie de communion : les entrepreneurs témoignent

Tous les 6 mois, je participe à une rencontre d’entrepreneurs d’un mouvement d’inspiration chrétienne qui s’appelle « l’économie de communion« . Ce mouvement vise à introduire, dans la vie des entreprise, une économie et une culture du don désinteressé, du partage et de « l’amour réciproque » (faites à autrui ce que vous voudriez qu’on vous fasse, même si c’est le concurrent ou l’inspecteur des impôts!). En particulier, ces entreprises ont pour vocation de venir en aide aux plus démunis, notamment en partageant avec eux une partie des bénéfices annuels (le reste étant investi dans la croissance de l’entreprise et dans le développement de l’économie de communion). C’est la logique du profit au service des plus pauvres ! Ces rencontres d’entrepreneurs donnent l’occasion à chacun de témoigner de la manière dont s’inscrit l’économie de communion dans la vie de chaque entreprise, des difficultés rencontrées, des leçons apprises. Voici les témoignages que j’ai pris en note ce week-end. Les prénoms cités sont fictifs. Les titres sont de moi. :)

Découvrir l’être véritable… de son débiteur

Tom et son épouse ont prêté une importante somme d’argent à une connaissance. Mais leur débiteur ne les rembourse pas. Tom s’inquiète et craint d’être « roulé ». L’emprunteur n’est plus joignable. C’est la colère qui gagne. Plutôt que de se laisser emporter, Tom et son épouse décident de lui récapituler la situation sans animosité, par écrit, dans une lettre. A leur surprise, celui-ci réagit et leur téléphone. Il leur raconte son divorce et se dévoile dans ses faiblesses et ses difficultés. Il s’engage à rembourser. Tom se réjouit d’avoir pu « découvrir son être véritable ». Il se rappelle que Chiara Lubich, la créatrice de l’économie de communion, disaient que les Autres ont été créés comme un don que Dieu me fait.

Fraterniser avec l’ennemi

José a une activité de conception d’emballages. Il téléphone à un partenaire important, avec qui il entre habituellement en rapport de force et dont il doit exiger certaines ressources. Son interlocuteur, directeur commercial d’un grand groupe lui répond humblement et lui présente ses excuses pour son manque de réactivité, ce qui surprend José. José continue cependant sur le ton de l’exigence et de la négociation. Le directeur commercial l’informe alors qu’il va bientôt quitter son groupe. José réalise qu’il va perdre un interlocuteur de valeur et dont il avait l’habitude. Il essaie de rebondir sur l’occasion pour entrer en relation avec la nouvelle entreprise que son interlocuteur va rejoindre. La conversation quitte peu à peu le cadre professionnel pour devenir un échange inter-personnel. José découvre peu à peu l’être de son interlocuteur. Il fait l’effort de lui dire qu’il apprécie de pouvoir parler malgré leur situation professionnelle habituellement conflictuelle. Il réalise qu’ils coupent à la logique purement commerciale pour entrer dans le champ de la relation de personne à personne. Pendant quelques secondes, il a même l’impression de parler à un frère, au Christ ? Peut-être cette nouvelle dimension de leur échange va-t-elle lui permettre d’obtenir un nouveau client ? Il l’espère.

Passer outre les contrats

Pierre dirige une petite société d’édition. Dans ce secteur, les distributeurs de livres ont l’habitude d’exiger des cautions importantes aux éditeurs, de manière à pouvoir rembourser les invendus que les libraires pourraient leur retourner. Ainsi, la caution actuelle de Pierre auprès de son diffuseur s’élève actuellement à 130 k¤. Cette année, l’un des livres de Pierre se vend exceptionnellement bien. En conséquence, le contrat avec son diffuseur stipule qu’il va devoir porter sa caution à 214 k¤, pour couvrir les plus gros volumes distribués. L’interlocuteur de Pierre chez son diffuseur est un « gars réglo » mais qui reste habituellement dans une logique purement commerciale, contractuelle et « capitaliste ». Pierre ose cependant lui demander de faire un effort et d’accepter de lui rétrocéder 50k¤ de sa caution. A sa grande surprise, le distributeur accepte, alors que rien ne l’y forçait.

Découvrir son bailleur

Henri-Louis est locataire d’une maison. Habituellement, ses relations avec son propriétaire restent distante et il commence à s’énerver des fréquents travaux que celui-ci effectue dans la maison, dernièrement dans sa cave. Alors qu’il vient continuer ces travaux, Henri-Louis fait l’effort de lui proposer un café. Ils discutent alors de leurs vies personnelles pour la première fois. Le propriétaire évoque les relations humaines dans son entreprise. Henri-Louis lui parle alors de l’économie de communion et l’informe qu’il allait justement, dans quelques heures, se rendre au week-end semestriel de rencontre des entrepreneurs de l’économie de communion. Son propriétaire s’y intéresse. L’économie de communion permet à Henri-Louis de partager avec son propriétaire et d’étendre le champ de leur relation, ce dont il se réjouit.

Embaucher en aveugle ?

Mireille dirige une activité de paysagiste. Depuis deux ans, elle travaille avec un bureau d’études qui lui apporte quelque fois des affaires. Ce matin-là, elle passe la demi-journée avec ce sous-traitant pour aller chercher des plantes ensemble dans une pépinière. Dans la voiture, il lui avoue avoir actuellement des difficultés économiques. Or Mireille cherche justement un architecte/paysagiste pour renforcer son équipe. Au cours de la conversation, elle se sent en « communion d’âme » avec lui et a l’intuition qu’elle devrait l’embaucher sans même avoir eu recours à une étude de rentabilité. Trois mois plus tard, ils tentent le pari. Son embauche lui permet de pérenniser et de réguler ses revenus. Or c’est justement la crise qui s’annonce à ce moment-là. Mireille perçoit alors comme « un clin d’oeil » que le paysagiste nouvellement embauché réussit rapidement à apporter de nouvelles grosses affaires à l’entreprise, ce qui atténue significativement l’effet du début de crise.

Céder à l’incompétence ?

Fred est éleveur et songe à céder son exploitation. Il cherche un repreneur depuis quelques temps et a choisi un couple de candidats cet hiver. Ce couple manque cependant d’expérience pratique et Fred leur demande de travailler avec lui pour « se faire la main ». Cependant, le premier mois de travail en commun sur l’exploitation se révèle très difficile. En effet, le candidat repreneur fait preuve d’une très grande arrogance dans ses relations et ne cesse de « taquiner » Fred à toute occasion. Fred n’en peut déjà plus. Plusieurs fois par jour, il recourt à la prière. Il est pris d’un doute : ce couple a-t-il vraiment l’envergure nécessaire à la reprise de l’exploitation ? « Elle » ne s’en sort pas trop mal. Mais « lui », et son arrogance permanente ? Que faire ? Comment supporter cette expérience relationnelle douloureuse au quotidien ? N’est-il pas trop tôt pour porter un jugement sur leur compétence ? Au contraire, l’expérience professionnelle de Fred ne lui permet-elle pas de se forger une intuition déjà assez fiable ? Et la saison qui s’annonce n’est-elle pas déjà mise en danger par les mauvaises conditions de leur travail en commun ?

Décloisonner, déhiérarchiser les relations

Catherine dirige un cabinet de conseil. Elle apprend brusquement que son fils a un grave cancer mais qui pourrait être traité. Va-t-elle le dire à la famille ? ou leur épargner l’inquiétude ? Elle décide finalement d’en parler non seulement à la famille mais aussi aux amis, dans les associations où elle est présente. L’intervention chirurgicale se passe bien. La radiothérapie semble efficace mais la situation reste difficile. Doit-elle le dire à ses consultants ? Elle décide de leur en parler, un par un. En effet, la tension personnelle qu’elle ressent forcément risque de rejaillir sur le boulot. Et les membres de son cabinet se sont justement engagés à mieux exprimer leurs émotions et leurs ressentis pour améliorer leur performance. Alors elle en parle. Par exemple, avec cette consultante habituellement très distante et avec qui la relation a toujours été difficile. A sa surprise, cette conversation permet à la consultante de se livrer à son tour et de partager ses propres tensions personnelles et familiales. Catherine se sent en communion avec elle. Leur parole a été libérée malgré leur relation hiérarchique.

Exploser son client ou son devis

Thierry est artisan. Il a pris du retard dans l’établissement d’un devis pour un client « qu’il ne sent pas ». En effet, ce potentiel client se montre très directif dans ses demandes. Sur le lieu du chantier, au lieu d’exposer simplement le problème et de laisser Thierry proposer et argumenter, le prospect entre trop dans les détails et Thierry a l’impression qu’il veut lui apprendre son métier. Thierry en a franchement assez. Il se dit en son fors intérieur : « Seigneur, si il dit encore une seule phrase, j’explose ! ». Le client se tait. Thierry repart avec de la rancoeur. Il prépare cependant son devis et envisage d’y ajouter une petite phrase « … mais je n’ai pas le désir de travailler avec vous. » Sa fierté a été blessée et il a une intuition négative quant au déroulement de ce chantier. Il se demande : que ferait Jésus ? Dois-je ajouter cette phrase à mon devis ?

Le salarié dans toute sa faiblesse

Thierry est artisan. Il est inquiet pour l’un de ses hommes qui est un peu plus âgé que les autres et commence à montrer une mauvaise forme physique : il enchaîne les bourdes et a quelques problèmes d’audition. Les autres membres de l’équipe s’en plaignent. Alors Thierry « le prend entre quatre zyeux » pour lui faire part de ses inquiétudes. Puis il dit aux autres : « Dieu l’a mis ici pour nous ». Il leur explique : « C’est à nous de l’accompagner. » Il le compare a Jésus dans sa faiblesse. Ses gars sont athées mais ils savent à qui ils ont à faire !

Prier oui, mais insister aussi

Laurent se lance d’une activité agricole et dans l’exploitation d’une maison d’hôte. Il arrive en fin de travaux mais n’a presque plus de fonds. En effet, il vient de faire une erreur financière qui va bloquer ses fonds restant pour de nombreuses années alors qu’il en a justement besoin pour terminer son chantier. Il adresse une prière à Saint-Joseph (c’est justement le jour de la Saint-Joseph…). Il appelle le financier qui gère ses fonds et insiste pour essayer de faire corriger son erreur. Son financier refuse et lui dit qu’on ne peut plus rien faire, c’est trop tard. Il demande des conseils à Thierry, qui n’est pas loin de là. Laurent rappelle encore plusieurs fois son financier et insiste : ne peut-on vraiment pas trouver une solution ? Finalement, le financier trouve une solution et les fonds sont débloqués. Laurent est soulagé.

Se libérer à l’autre bout du monde

Sabine est consultante indépendante en gestion des ressources humaines. Son mari a rompu tout lien avec sa famille et son pays d’origine depuis plus de 38 ans. Mais il apprend que sa soeur est gravement malade. Sabine se prépare à argumenter pour le convaincre d’aller la voir. A sa surprise, il accepte sans hésiter et les voila partis, en 48H seulement, à l’autre bout du monde. Elle vit, avec son mari, la redécouverte, la rencontre, le pardon et une nouvelle paix intérieure. Stressée par son départ précipité, elle a emporté du boulot et s’apprête à travailler dans sa chambre d’hôtel. De l’autre côté du globe, elle réalise que son stress professionnel lui montre qu’elle veut prouver quelque chose, qu’elle n’est pas intérieurement libre par rapport à son travail. Elle retrouve alors une paix intérieure également sur le plan professionnel, qu’elle pense devoir à son « associé invisible » (Dieu) qui la libère des enjeux personnels par lesquels elle avait laissé son activité professionnelle être contaminée. Elle se réjouit que son associé invitisble soit venu avec elle en voyage, même au bout du monde.

Rétablir la justice

Véronique siège au conseil municipal de son village. Actuellement, l’un des adjoints est en train de se faire violemment exclure par tous les autres. On lui demande de ne pas assister à une réunion au cours de laquelle tous sont invités à énumérer les griefs à son encontre. Véronique vit cela comme une séance de « lynchage collectif ». Elle est choquée de la mauvaise foi de certains, se sent mal à l’aise et se demande comment vivre son engagement d’élue dans ces conditions. Comment rester calme ? Comment défendre l’adjoint victime de l’opprobe. Comment apaiser ? rétablir la vérité et la justice ?

Affronter la tempête sans boussole

Florian dirige une PME dans l’industrie mécanique. Actuellement, ça ne va pas fort. Il y a quelques mois, il a embauché une jeune contrôleuse de gestion, major de sa promotion, qui lui a été chaudement recommandée et semblait très prometteuse. Elle assure seul la comptabilité et la tenue des tableaux de bord de gestion alors que la responsable du service part en congés maternité. Pour limiter les risques de ces nouvelles responsabilités, il lui stipule clairement : « ne prenez surtout aucune initiative et tenez-moi au courant de toutes vos difficultés et de vos activités ». Les résultats de son travail semblent très « pro ». Les tableaux de bord sont clairs… mais leur contenu est totalement faux. Sa chef revient de congés et découvre l’ampleur du désastre. Incompétente, la jeune femme maintenait avec rigueur toutes les apparences du professionnalisme. Mais les ratios sont erronés, la trésorerie est dans un état catastrophique, les factures non comptabilisées sont retrouvées au fin d’un tiroir où elle les avait glissées ne sachant comment les traiter. C’est à ce moment que la crise mondiale frappe et que le carnet de commande entame une chute vertigineuse. Or l’activité de Florian est très sensible aux sous-charges. La jeune contrôle de gestion ne s’excuse pas. Son CDD n’est pas renouvelé. Les comptes ont plusieurs mois de retard, maintenant et il faut réparer les dégâts. Florian a l’impression d’arriver au coeur d’une tempête économique sans aucune boussole. Les clients reportent toutes leurs commandes et la catastrophe s’annonce parmi toutes les PME locales du secteur. Et dire qu’il était encore confiant il y a 6 mois de cela. Avec ses confrères dirigeants des entreprises du secteur, il fait circuler un mail d’invitation à dîner ensemble pour essayer de se remonter le moral les uns les autres…

Comptabiliser la communion ?

Gérard est consultant achats. Il n’entretient avec son comptable que des relations limitées aux besoins professionnels. Pour mieux comprendre l’activité et la gestion de Gérard, son comptable se renseigne : « C’est quoi cette histoire d’économie de communion ? » Gérard répond et apprécie de constater que la conversation et les échanges prennent peu à peu une tournure plus personnelle et moins déconnectée.

Gratte-moi le don !

José est agriculteur. Il a des copains qui n’ont plus les moyens de payer leur chauffage. Il aimerait bien les aides. Avec un pote, il achète régulièrement des tickets de loterie à gratter et ils se disent, à moitié pour rigoler, que, si jamais ils gagnent, ils partageront leurs gains avec des personnes démunies. Ce jour-là, il raconte la situation de ses copains et ils décident ensemble qu’ils leur donneront leurs gains. Ils achètent un ticket et commencent à gratter. Et ils gagnent justement la somme que José se disait qu’il voudrait donner à ses copains dans le besoin ! Ils leur font ce cadeau. Ce soir-là, José a senti « comme une présence » avec eux…

Croire au respect de la diversité

Christophe dirige une PME industrielle. Il y a trois ans, il a embauché une personne handicapée pour se charger de l’établissement des devis. Tous s’entendent bien avec elle et elle apprécie les horaires aménagés pour son handicap. Fort de cette expérience positive, et alors que la croissance est au rendez-vous, il embauche une jeune femme responsable logistique et qualité. Pourtant, le secteur est traditionnellement plutôt machiste et les relations hommes-femmes restent difficiles. Qui plus est, la jeune femme est d’origine maghrébine et elle doit s’imposer face à un collègue raciste. Elle y arrive. Plus tard, elle remercie Christophe « pour son respect ». Et elle lui confie « c’est la seule entreprise que j’ai faite où on respecte vraiment les gens. » Christophe a chaud au coeur.

Prévoir et apprécier le pain quotidien

Gérard dirige depuis peu une entreprise du bâtiment, spécialisée dans les bâtiments passifs, meilleurs pour l’environnement. Il a repris cette entreprise qui était en difficulté, grâce à des aides personnelles, publiques et bancaires. Ces aides lui ont donné de l’espérance. Il emploie 15 personnes, une trentaine avec les sous-traitants et interimaires. Il s’inquiète cependant du manque de visibilité sur l’activité à venir. Il regrette de ne pas déjà avoir les commandes jusqu’à la fin de l’année. Mais il s’en remet à Dieu. Dans la prière du Notre Père, ne demande-t-on pas « notre pain quotidien » ? On ne demande pas celui de demain mais celui d’aujourd’hui. Alors il s’efforce de rester patient et confiant.

Faire confiance à la famille

Gérard a repris une entreprise de bâtiment. Peu avant le bouclage financier pour assurer la reprise de l’entreprise, la crise financière mondiale se dévoile dans toute son ampleur. Un oncle de Gérard avait promis 50 k¤ mais il refuse maintenant de les débourser car ses actifs financiers perdent de la valeur et ils préfèrent les conserver sur le long terme. Le bouclage de Gérard est mis en péril. Va-t-il réussir à devenir majoritaire au capital de  l’entreprise qu’il s’apprête à reprendre ? Il appelle son ancien employeur d’il y a 10 ans. Celui-ci lui fournit 25 k¤. Il s’adresse aussi à un nouvel ami avec qui il partage quelques liens spirituels forts : celui-ci demande l’aide de sa mère qui accepte d’investir 30 k¤ dans l’affaire de Gérard. Gérard perçoit ces nouveaux apports comme des signes d’espérance malgré la tourmente économique qui s’annonce.

Couler à pic

La nouvelle crise économique mondiale fait penser Marc à l’évangile sur la tempête. Nous avons tant de raison de craindre de couler à pic. Comment faire pour marcher sur l’eau ? Nous sommes invités à garder le regard sur Dieu et à rester confiants. Véronique dit que la crise, c’est un peu une « opération-vérité », une période où tout « le faux », « le pipeau » et les châteaux de carte s’écroulent. Le problème, c’est que l’effondrement entraîne aussi le reste, nous compris, car nous nous sommes laissés « prendre dedans ».

Prendre le temps d’écouter

Henri-Louis fait le point sur les premières années qui viennent de suivre sa reprise d’une entreprise centenaire. Il compare la situation des entrepreneurs à celle des cyclistes du Tour de France, surtout lorsqu’ils en sont au troisième col à franchir dans la même journée. Ils sont encouragés par les gens au bord de la route mais restent « le nez dans le guidon », à « en baver toute la journée ». Il est important de s’entourer de proches capables de voir et de dire la vérité, de nous conforter et de nous encourager sans flatterie. Il y a six mois, il se demandait: « comment partager l’économie de communion avec mes salariés ? ». Certainement pas par le discours. Qu’est-ce que pourrait bien être une « pédagogie de l’économie de communion » ? Deux dimensions lui semblent essentielles : l’écoute et l’ouverture au pauvre. En matière d’écoute, l’essentiel réside dans le comportement et l’attitude. Par exemple, plutôt que de se contenter du quotidien « bonjour, comment ça va? » lancé en passant, il a un jour tenté l’expérience de s’arrêter et de prendre le temps de poser la question « comment ça va ? » dans l’attente d’une réponse. Et il a non seulement obtenu une réponse, mais, à sa surprise, s’est vu également demandé par un salarié habituellement distant « et vous, comment ça va ? » Il a réussi à faire sentir qu’il allait écouter la réponse et qu’il en prenait le temps. Habituellement, lorsqu’il allait voir son assistante, c’était avec une liste de choses à faire. Cette fois-là, il s’est assis à côté d’elle sans sa liste et lui a demandé « Ghislaine, comment est-ce que je peux vous aider ? ». Il est venu sans papier et ouvert à l’échange. Sa relation avec cette assistante a changé du tout au tout et celle-ci est, depuis, plus organisé et établit elle-même ses plans d’action. Pour Henri-Louis, la pression du quotidien nuit à la relation. Et les réflexes négatifs reviennent vite. Il ressent un véritable « appel à la conversion du coeur » et aimerait savoir y répondre. Comment résister à l’érosion du coeur ? Comment mettre en place, structurellement, dans la vie de l’entreprise, des moments de relation ? Quelles sont les structures d’entreprise pour vivre l’économie de communion ? Il aimerait faire preuve de créativité pour institutionnaliser des moments de relation. L’autre dimension essentielle pour une pédagogie de l’économie de communion, c’est l’ouverture au pauvre.

Etre plutôt que faire

Jean-Louis dirige un cabinet d’assurance. « Comment faire pour vivre l’économie de communion ? » se demande-t-il. « pour vivre l’évangile dans l’entreprise ? » Avec ses deux associés, ils prennent le temps de s’interroger et conviennent d’essayer « d’être plutôt que de faire ». Plutôt que de s’efforcer encore davantage de faire appliquer certaines procédures de gestion mal suivies, ils décident d’institutionnaliser un temps de rencontre hebdomadaire pour laisser s’exprimer le besoin de gestion tel que perçu par chacun, laisser chacun s’approprier les procédures et même laisser chacun les améliorer. Quatre salariés du cabinet ont spontanément exprimé leur satisfaction de cette nouvelle manière de faire.

Se laisser guider

Jean-Guy dirige une PME familiale dans l’industrie textile. En octobre 2008, l’entreprise traverse un « trou d’air » très violent dû à la crise mondiale. Mais, justement, ils viennent d’obtenir un très gros marché qui le sfait tenir jusque mi-février. Puis les commandes baissent car le client préfère recourir à l’importation pour l’un des volets de ce marché. Jean-Guy sait qu’il doit alors soit réduire les coûts et licencier, soit trouver un nouveau marché. Il repart avec ce défi est une prière : « Guide-moi car c’est important non seulement pour moi mais pour les gens qui m’entourent. »

Donner sans attendre

Fabrice dirige une petite entreprise d’insertion dans les travaux forestiers et la scierie. Pour lui, ce n’est pas évident de « s’en remettre à Dieu ». Il est touché par les témoignages qu’il entend mais il a peur. Il est OK pour en baver au quotidien et son entreprise s’en sort bien malgré la crise. Mais, au quotidien, ce n’est pas facile à vivre. Il a avec lui 3 ouvriers en insertions et 3 encadrants. Ils croyaient que les encadrants allaient le remercier de ses efforts mais ce n’est pas le cas. Ils sont peu reconnaissants. Il vit sa situation comme problématique sur le plan existentiel et spirituel. Comme diriger son entreprise dans la paix et non pas déchiré et stressé. Son objectif personnel dans ce choix de l’entrepreneuriat, c’est la joie de vivre. Pour lui, son mal-être vient du stress et du manque de reconnaissance par ses salariés. Jean-Guy réagit : ce que l’économie de communion a changé dans sa vie, c’est qu’il est devenu beaucoup plus « zen » qu’avant. Il a réalisé qu’il n’est pas vraiment le propriétaire de son entreprise, même si il en détient le capital. Il en est seulement le gérant et il n’est pas seul. Dieu est l’actionnaire principal. Florian réagit également : il n’attend pas de reconnaissance de la part de ses ouvriers. Son attente n’est ni la richesse, ni de devenir un notable local mais d’aider le plus grand nombre possible de pauvres et de vivre humblement. Gérard rappelle aussi qu’on est très mauvais juge de soi-même et qu’on fait souvent mieux que ce que l’on croit. Jean-Louis rapporte un épisode de la vie du pape Jean 23, qui ne se sentait pas du tout à l’aise après avoir été élu pape et n’arrivait plus à dormir. Il aurait alors perçu que Dieu lui demandait : « Jean, c’est toi le patron ou bien c’est moi ? … Alors pourquoi tu ne dors pas ? » Sabine nous invite à écouter et à nous laisser guider. L’entreprise d’Alfred est en grande difficulté. Pour lui, maintenant, « que l’entreprise capote ou non, ce n’est pas mon problème, c’est celui de Dieu ; je ne demande que mon pain quotidien et je rend grâce à Dieu car c’est la mauvaise santé financière de mon entreprise qui m’a permis de réaliser tout cela. » Roméo est à la retraite et raconte que, pendant 20 ans, lui aussi a dirigé une scierie et il a vécu tout son parcours comme une « quête de réciprocité ». Véronique souligne l’importance de la gratuité des actes : il faut donner sans attendre. Et attendre un « merci », ce n’est pas donner gratuitement. Plus on donne (gratuitement), plus on reçoit. Et on ne reçoit que quand on n’est pas en demande. Dans sa savonnerie plus que centenaire, Henri-Louis a versé une prime à ses salariés, la première versée depuis 100 ans. Et sa femme l’a bien prévenu : « surtout, n’attend rien en retour ». Pierre raconte que son petit dernier est né « par surprise » lorsque sa femme et lui avaient acceptés leur infertilité. Bénédicte, qui se prépare à lancer une activité de restauration, témoigne de son expérience de salariée. Elle avait fait 400 heures supplémentaires pour faire gagner un contrat de 2 millions d’euros à son employeur. Plutôt que de l’en remercier, celui-ci ne lui a témoigné aucune reconnaissance et lui a presque reproché d’en avoir fait autant. Alors son envie de devenir entrepreneur est aussi une envie de vengeance : se venger des patrons ingrats en devenant soi-même un patron reconnaissant !

Recréditer la confiance

Nous regardons une vidéo sur l’économie de communion et je note ceci : la gouvernance d’une entreprise de l’économie de communion ne repose ni sur la hiérarchie (entreprises classiques) ni sur l’égalitarisme (coopératives). Tous les salariés sont vus comme des entrepreneurs, ayant chacun des rôles et des responsabilités divers. Le rôle de l’entrepreneur est de créer les conditions du succès, et notamment, pour cela, de veiller à recréditer la réputation et la confiance de chaque employé qui commet une erreur, en lui confiant un nouveau travail où il a de bonnes chances de réussir. Faire de chacun des entrepreneurs permet d’accroître la créativité et l’innovation.

Voila pour les témoignages de ce week-end. Notre prochain week-end d’unité, en octobre, se déroulera sur 3 jours à Bruxelles, avec nos collègues entrepreneurs de l’économie de communion dans les pays d’Europe du Nord. Mais je ne suis pas sûr que je pourrai y participer : c’est toujours compliqué de s’organiser pour s’occuper de nos quatre enfants et je n’aime pas laisser ma moitié à devoir se débrouiller à la maison avec eux alors que je profite de ces super moments d’échange et de rencontre. Et mon entreprise sera-t-elle encore là à la rentrée scolaire ?

Que pensez-vous de tous ces témoignages ?

Pourquoi une SARL pour le wecena ?

Une personne qui découvre le wecena et m’envoie le mail suivant :

Je trouve votre projet et votre actions extrêmement intéressantes… Mais, il y a un mais. Le choix d’un statut capitalistique pour ce projet à forte tendance « utilité sociale » me semble brouiller un peu les choses… …et c’est cela qui me retient pour le moment de m’engager à vos côtés. On pourra en discuter, un jour, peut-être ? J’en profite pour vous préciser que je n’ai pas d’opposition de principe au statut de SARL en soi… mais qu’en allant prendre les renseignements sur qui pilotait ce projet, je m’attendais plutôt à voir soit une association, soit au minimum un statut de l’économie sociale (une SCOP, par exemple). D’où ma surprise. Et deuxième précision : le point positif c’est la transparence dont vous faites preuve à ce sujet, qui m’eincite à vous contacter ;)

Alors, pourquoi une SARL pour le wecena ? Je vais essayer de donner mes raisons mais cela peut mériter de continuer la discussion via les commentaires de cet article.

A l’origine, une initiative individuelle (et non collective).

Le wecena est un projet personnel de création : c’est une idée que j’ai eu grâce à mes discussions et mes échanges avec certains et que je ne peux réaliser qu’avec l’aide et le soutien de beaucoup mais c’est une idée que j’ai la possibilité de concrétiser sans associé. L’investissement essentiel est en temps (mon temps plein depuis fin 2007) et très peu en argent jusqu’ici (quelques milliers d’euros) si je mets de côté le besoin de vivre et de nourrir sa famille au quotidien (les ASSEDIC aident pour cela). J’ai besoin de clients (les associations), de partenaires et, surtout, de mécènes pour mes clients. Qui dit association ou coopérative dit associés. Mais je n’ai pour l’instant pas besoin d’associés ni d’employés.

Dans cette mesure, ce n’est pas un projet issu d’un collectif mais d’un individu. Par conséquent, le seul statut juridique qui me semble approprié est l’entreprise (individuelle ou en société). Pour des raisons fiscales et économiques, le statut de SARL m’a paru plus approprié que celui d’entrepreneur individuel.

Attirer la confiance des entreprises mécènes

Pour mobiliser des bénéficiaires et des mécènes, le plus coûteux (en temps) est de convaincre les mécènes (SSII et cabinets de conseil). Les associations sont les plus rapides à se décider. Par conséquent, et malgré le phénomène de professionnalisation des associations, adopter un statut commercial me donne un (petit) atout supplémentaire qui est bienvenu pour dialoguer avec les mécènes : nous échangeons de professionnel à professionnel, d’entreprise commerciale à entreprise commerciale. Cela facilite la mise en relation, la prise de contact et l’établissement de la confiance.

Et l’argent ? Et le pouvoir ? Et la gloire ?

Bien sûr, l’inconvénient d’un statut de SARL, c’est qu’il suscite parfois, en dehors du monde des entreprises privées, une certaine méfiance quant à mes intentions personnelles. Suis-je avant tout motivé par l’argent (faire fortune) ? le pouvoir (diriger un empire) ? la gloire (passer à la télé) ? ou l’utilité sociale (servir l’intérêt général) ? Certaines de ces motivations sont-elles contraires à l’éthique ? Quelles sont mes priorités ?

J’accepte cette méfiance car elle est naturelle et plutôt saine. La meilleure manière que je trouve d’y répondre, c’est d’inviter les prudents à faire un bout de chemin avec moi pour voir comment les choses se passent, et à dire ce qu’ils en pensent. J’ai aussi tendance à penser que l’important n’est pas tant la nature de mes motivations que les résultats auxquels on aboutira :

  • va-t-on réussir à atteindre les objectifs de changement social que l’on poursuit ?
  • Wecena SARL sera-t-elle une entreprise viable et capable de se développer durablement ?
  • ce projet peut-il, par la manière dont il est mené, servir de source d’inspiration à d’autres ?

Mes priorités, à l’heure actuelle sont :

  1. maintenir le niveau de vie de ma famille à celui que je lui assurais lorsque j’étais salarié (de multinationales) et donc faire signer les premiers mécènes avant cet été ; sinon, je retournerai probablement au salariat d’ici septembre !
  2. obtenir un impact social suffisant dans un délai de un à deux ans ; si je n’arrive pas d’ici là à satisfaire mon besoin personnel de me sentir utile aux autres, le projet prendra alors fin pour moi
  3. pérenniser l’activité et la développer à très grande échelle de manière durable et exemplaire, jusqu’à ce que le projet m’échappe de manière satisfaisante
  4. ne jamais m’ennuyer !

Pour réussir, je trouve notamment de l’inspiration dans :

  • mon expérience en entreprise et dans le bénévolat, sur laquelle je m’appuie
  • l’héritage culturel de l’économie sociale traditionnelle, que je continue à découvrir petit à petit
  • le concept anglo-saxon d’entrepreneur social, dans lequel je me reconnais à 100%
  • le mouvement spirituel de l’économie de communion, qui me fournit un associé invisible ;-)
  • les communautés du logiciel libre et de l’open source, où je vis tous les jours
  • les initiatives telles que le Capital Altruiste, les SAGP, … qui me donnent envie de les expérimenter

Qu’en pensez-vous ?

Altruistic Capital, semifinalist of Echoing Green 2009

Albeit disappointed, I enjoyed the results of the 1st selection phase of the 2009 Echoing Green fellowship program. Of course, it had some positive consequences on my venture. But the most positive side of this is that Thierry Klein brought my attention to the fact that his own (French : Cocorico ! as we say here)  initiative, namely the Altruistic Capital, is selected as a semifinalist. I wish he will be at the next Echoing Green selection week-end in New York this spring and, hopefully, the Altruistic Capital project will be boosted by a 60.000 USD grant.

The Altruistic Capital concept is a nice and innovative way for tightening the public good to the performance of for-profit corporations, by letting nonprofit organizations receive a share of these profits. They indeed become shareholders of the forprofit, as the name « Altruistic Capital » suggests.

Next questions for me are :

  • how can I let some open source businesses become more familiar (and hopefully fond of) such initiatives (this is also an open question for the economy of communion which shares so much in spirit with some aspects of free software)
  • when, how and to which nonprofit(s) will I donate a part of the capital of my nonprofit ? this question is a bit difficult for me to handle given that my customers are nonprofits and I may prefer not to create interferences between business itself and the altruism of my capital… or maybe I should let this happen ?

I definitely have to spend some time with Thierry, face to face. Maybe next time he comes to Paris if our schedules can be synchronized.

Good luck, Altruistic Capital and Thierry, for the next phase of the EG selection process !

B’corps, SAGP, Capital Altruiste and committed for-profits

Many social entrepreneurship-related concepts now florish on the Web. Some time ago, the social-oriented entrepreneur could get inspiration from NGOs and from for-profit social ventures such as the Grameen Bank (well, I suppose it does not have an NGO status of some sort… I am not even sure of this ; anyway…).

Now that I am thinking of how to govern the growth of my own social venture, I am also stumbling upon a variety of other very stimulating and mind-opening concepts that may be useful to my project.

The SAGP is a French way of governing a company that seems to be inspired by De Gaulle‘s wish that employees would more and more take part in managing their company (not to say that many French companies are SAGPs, far from that !). ‘GP in SAGP stands for Gestion Partagée: shared management. SAGP is not a legal status for juristic personification (Inc., Ltd., GMBH, SARL and others). It is a kind of « label » that says something like « in our company, work and capital are of equal value and power is equally divided between both workers and shareholders« . Note that it is not necessarily a « one person one vote » system. Sounds interesting even though the 50% work /50% capital proportion sounds a bit arbitrary to me (why not 75% work and 25% finance at early stage and later evolution toward 50/50  for instance ?). And SAGP lacks a grass-root community of entrepreneurs behind it. Anyway, the idea of empowering workers is there.

B Corporations is a concept that comes from the USA. B (for Beneficial) corps are companies that include social and environmental commitments into the legal document that founds the company (the Articles of Incorporation, or « statuts » in French). It also is a kind of label but the legal dimension of the concepts can make it something superior to a plain marketing label. It somehow institutionalize the social commitments of the company.

Companies with a « Capital Altruiste » are companies which commit themselves to sharing a (fixed) part of their profit with a given (set of) NGO(s). The NGOs may become a full shareholder in the company. These companies may not « be social » (or green or whatever) by their business purpose. They even could behave unethically (preferrably not, of course). Their new social role comes from the fact that they share a given portion of their annual profits to a non-profit, either by donating profits (patronage) or by donating shares (which I think is more aligned with Thierry Klein’s idea). It is a concept that tries to keep altruism and ethics apart from usual business operations. By accepting the worst of human nature (cupidity and social blindness of traditional corporations?), this concept suggests a way for putting altruism within the reach of any corporation and entrepreneur. « You don’t have to think of yourself as a social hero to serve altruistic purposes » does it seem to say. Sounds good too… as long as it does not says « social entrepreneurs are fools » or « social ventures are doomed to failure or eternal non-growth because they unrealistically rely on the good will of some social dreamer« . Sounds like a good concepts for pessimistic and/or cynical social entrepreneurs, doesn’t it ? A stimulating dimension of the concept of Capital Altruiste is that not only social capital (or profits from capital?) can be shared but also profits from intellectual property. The legal implementation of intellectual property being currently flawed, I think one should get beyond just saying « every music album you buy will trigger a donation of 5% of its price to an NGO ». But the idea of marrying open source licensing with some form of well-designed profit-sharing may lead to something interesting.

Last but not least, Michael Pirron’s model is more for optimistic-would-be-social-heroes. His for-profit venture (also a B-Corp) contracts with a non-profit. The non-profit becomes a customer of the for-profit (for instance, it can receive consulting services from the for profit if this for-profit is a consultancy), maybe with  preferential prices. And the for-profit also shares its profits to the non-profit. It sounds to me similar to one of the founding principles of the Economy of Communion and I appreciate this similarity. I will have to dig this concept and get more familiar with it.

As a conclusion, this is all about giving with some reciprocity. You can share profits, social capital or votes. You can share them with workers or non-profit organizations which have both been designated as the less-favoured stakeholders in our  sustainable development era. You can institutionalize this sharing in your articles of incorporation or just keep it as a management principle at least until it stabilizes a bit.

I personnally feel these concepts are still very experimental and shouldn’t be institutionalized unless you have very strong legal skills and agility. I don’t have employees so I’ll keep the « share-with-the-workers » concepts aside until I get into recruiting someone. I feel some appeal to the « share-with-an-NGO » thing but I still wonder which NGO to share with especially given the fact that NGOs are my customers !

Anyway, like my friends in the Economy of Communion sometimes say : « First, focus on generating something to share ! » So let’s get back to business.

I hope I did not make too many mistakes in describing the concepts above : I am just stumbling upon them and still have to recover from surprise before understanding their principles and subtleties.

Tell me what you thing and don’t hesitate to refer to any similar concept I might have been missing.

Mon nouveau projet

Christian et Etum l’ont bien senti. :-) Je me relance dans une nouvelle aventure: la création d’une entreprise sociale ayant pour vocation de créer des Innovations Internet d’Utilité Publique.

Il y a deux ans, j’avais tenté d’identifier qui, en France, pouvait être créateur d’Innovations Internet d’Utilité Publique. Je n’étais pas revenu bredouille de mon expédition… mais presque. Depuis deux ans, j’ai travaillé à créer de l’innovation Internet (et mobilité) à vocation commerciale (recherche en applications mobiles Web 2.0ish). Maintenant, je vais essayer d’ajouter l’ingrédient « utilité publique » ou « intérêt général » à la sauce et voir si ça prend sous forme d’une activité professionnelle (et commerciale).

Concrètement, j’ai quitté mon job depuis le mois dernier et je prépare mon projet. Ca s’est décidé vite: un plan social a été annoncé au printemps et l’un de mes collègues aux compétences proches des miennes était sur la sellette. Au même moment, j’avais mon idée et la promesse d’une petite cagnotte si je me portais volontaire pour monter dans la charrette à la place de ce collègue. Tout le monde s’est mis d’accord et hop.

J’ai commencé par acquérir quelques connaissances qui me manquaient (notamment dans le domaine juridique), à tester mon idée auprès de prospects, à mobiliser quelques fournisseurs et à concevoir un peu d’outillage logiciel. Mes premiers contacts commerciaux sont plutôt positifs mais rien n’est joué tant que rien n’est fait ou signé! Alors je reste prudent.

Dans mon projet, il y a plein d’ingrédients bons pour la santé: un gros paquet d’open source et de prestation de service informatique, un fond de citoyenneté d’entreprise et de politiques de développement durable, une sauce épicée à l’Economie de communion, peut-être une pincée de coopératisme et un maximum d’innovation sociale et d’intérêt général.

Mes gènes de paranoïaque me mettent un peu mal à l’aise pour tout vous raconter ici dès aujourd’hui dans la mesure où, enthousiasme et extraversion obligent, j’aimerais tout vous dire mais j’ai un peu peur qu’en en disant trop, on dévoie mon idée avant que j’ai eu le temps de dire ouf. C’est sans doute idiot. C’est d’autant plus idiot que je voudrais que mon idée soit reprise par d’autres! Mais je sais pas encore comment alors il faut que j’y pense encore un peu avant de tout déballer n’importe comment.

En attendant, je vous invite à rêver. J’ai un génie dans ma bouteille. Il peut réaliser vos innovations Internet d’utilité publiques les plus folles. Il suffit d’en faire le souhait en postant un commentaire ci-dessous. Quel usage, service ou technologie Internet devrait-on répandre à travers le monde pour rendre celui-ci meilleur, pour aider à résoudre certains problèmes de société? Quels sont les problèmes de sociétés les plus cruels et pour lesquels il n’existe pas (encore) de technologie Internet uniquement faute d’intérêt commercial évident? Qui sont les entrepreneurs sociaux qui pourraient démultiplier leur puissance de changement social si seulement on leur forgeait quelques bons outils modernes? Quel sujet de société vous tient le plus à coeur pour que mon génie y consacre un peu de sa magie?

Ethique et carrière: comment mieux gagner sa vie?

Comment mieux gagner sa vie? La réponse peut être quantitative (gagner plus de fric). Mais elle devient tout de suite plus intéressante si elle est qualitative: gagner sa vie en mettant ses compétences professionnelles en phase avec son éthique personnelle, par exemple.

Une fois par mois, nous accueillons à la maison 4 autres couples pour le plaisir de se retrouver et de discuter de sujets qui nous tiennent à coeur, tous plus ou moins relatifs à nos croyances chrétiennes (bien que nous ne soyons pas tous croyants). Le mois, prochain, c’est mon tour de jouer le rôle d’animateur. Si vous me connaissez un peu et/ou si vous lisez parfois ce blog, vous ne serez pas étonné/e du sujet de discussion que j’ai proposé: comment utiliser au mieux nos compétences et environnements professionnels pour rendre le monde un peu meilleur? de nouveaux choix de vie professionnelle s’offrent-ils à nous? comment faire ces choix en couple ou en famille? Pour préparer la discussion, je propose aux participants de se familiariser un peu avec quelques uns des concepts relatifs à l’intersection entre éthique et économies. Voici les principaux concepts et ce qu’en disent des médias et sites d’obédience chrétienne.

L’éthique comme moyen

L’éthique, en entreprise, est parfois perçue comme un moyen. Un moyen de communiquer et de rassurer l’actionnaire ou les pouvoirs publics. Un moyen de limiter les risques de scandales en introduisant de nouvelles régulations ou modes de gestion dans l’entreprise. Un moyen de rendre l’entreprise meilleure? Voici les principaux concepts utilisés dans cet ordre d’idée.

L’éthique comme finalité

Pour certaines entreprises, l’éthique va plus loin et constitue le fondement de l’activité de l’entreprise (au moins historiquement). Des motivations d’ordre éthique sont à l’origine du projet de l’entreprise. L’entreprise devient un moyen de « faire le bien ».

L’éthique comme marché

Certaines valeurs morales ont une valeur commerciale. On peut vendre (souvent plus cher) un produit porteur d’une certaine éthique. Plusieurs marchés sont concernés.

Petit jeu

Maintenant, voici un petit jeu que nous ferons lors de cette soirée (sautez ce paragraphe si vous êtes l’un des participants!). Auquel des concepts ci-dessus correspond chacune des formulations suivantes:

  1. « Nous aidons des pauvres à sortir de la misère en leur prêtant de petites sommes d’argent qu’ils investissent dans leur activité professionnelle et nous remboursent par la suite avec intérêts. »
  2. « Nous apportons au monde entier un petit changement positif en nous appuyant sur l’efficacité et la puissance de l’entreprise pour le propager. »
  3. « Nous employons des personnes en situation d’exclusion pour leur permettre de retrouver une place dans le monde professionnel. »
  4. « Nous expérimentons des modèles économiques alternatifs au système économique libéral et capitaliste. »
  5. « Nous exploitons les ressources agricoles en limitant au mieux notre impact sur l’environnement. »
  6. « Nous faisons en sorte que nos dirigeants ne puissent pas abuser de leur pouvoir pour leurs propres intérêts. »
  7. « Nous garantissons le respect des droits et de la dignité de nos employés et de ceux de nos fournisseurs. »
  8. « Nous garantissons que l’argent que vous épargnez ne sera pas prêté à des entreprises ayant des activités que votre morale réprouve. »
  9. « Nous garantissons que vous voyagerez sans nuire à l’environnement. »
  10. « Nous héritons d’une tradition qui promeut dans l’entreprise des valeurs telles que la démocratie, l’équité et le partage entre nos membres. »
  11. « Nous investissons votre épargne dans des projets économiques solidaires. »
  12. « Nous mettons en place des outils de gestion et de management qui limitent les risque qu’un scandale ne nous mette en péril. »
  13. « Nous nous efforçons de faire plus d’argent sur le long terme en améliorant nos relations avec nos prochains (employés, fournisseurs, clients, actionnaires, pouvoirs publics, ONGs, …) et en préservant l’environnement. »
  14. « Nous offrons nos services pour le bénéfice de tous les membres de la collectivité et sous la tutelle de leurs représentants. »
  15. « Nous reversons aux producteurs (plutôt qu’aux intermédiaires de distribution) une part plus juste de notre prix de vente. »
  16. « Nous reversons une juste part du prix de votre voyage aux populations locales. »
  17. « Nous reversons une partie des intérêts de l’argent que vous épargnez à des causes auxquelles vous adhérez. »
  18. « Nous soutenons par des moyens visibles les causes les plus proches des valeurs que nous mettons en avant. »
  19. « Nous veillons à ce que votre épargne rapporte de l’argent sans nuire à l’environnement ni aux populations et travailleurs. »
  20. « Nous vivons grâce à notre entreprise le témoignage évangélique d’unité dans l’amour de notre prochain : client, fournisseur, actionnaire, employé, dirigeant, voisin, … »
  21. « Nous vous proposons un voyage qui sera pour vous une rencontre avec les populations locales, bénéficiera justement à celles-ci et ne nuira pas à l’environnement. »

Questions ouvertes

Voici les questions que je soumettrai à votre réflexion. Pour ceux qui viennent à la maison, ce sera notre discussion de la soirée. Pour ceux qui lisent ce blog mais ne seront pas chez moi, vous pouvez partager vos points de vue en laissant un commentaire à la fin de cet article!

  1. Pour chacun des concepts ci-dessus, de manière spontanée, diriez-vous
    • j’y crois ou bien j’y crois pas
    • je me sens concerné (mon entreprise en parle?) ou bien c’est pas pour moi
    • je vois un lien avec mes croyances, ma spiritualité, ma foi ou bien je n’en vois pas d’évident (cela n’a pas grand-chose à voir)
  2. En tant que professionnel, avez-vous déjà eu l’occasion de chercher à
    • gagner plus d’argent
    • faire bien (mieux) votre métier (qualité, performance)
    • faire le bien auprès de relations professionnelles
    • apporter des changements dans votre métier pour le rendre plus en phase avec votre éthique
    • faire des choix de carrière fortement guidés par votre éthique, vos valeurs
  3. Quand? Pourquoi? Comment avez-vous fait? Que s’est-il passé?
  4. Dans vos choix de vie, votre projet de couple et de famille, quelle place faites-vous pour les deux raisonnements suivants:
    • Mes plus proches prochains, c’est ma famille. Ma priorité est donc de gagner suffisamment ma vie pour assurer leur sécurité, leur confort et leur liberté de choix.
    • Mes talents les plus précieux, ce sont mes compétences professionnelles. Ma priorité est donc de mettre mes compétences professionnelles en oeuvre pour rendre le monde un peu meilleur.
  5. Comment gérez-vous ces priorités? Dans votre couple, quels sont vos points de vue respectifs sur la question? Vos divergences et points d’accord?

Si le temps le permet, nous essaierons de faire une petite séance de créativité (brain storming) pour inventer de nouvelles manières de répondre à la question: « Comment mieux gagner notre vie? » Si vous ne pouvez pas venir à la maison, vos suggestions sont les bienvenues en commentaires de cet article également!

A la recherche des Innovations Internet d’Utilité Publique

Cet été, j’ai exploré avec plusieurs d’entre vous la jungle de l’innovation, de l’Internet et des projets d’utilité publique. A l’intersection de ces trois domaines, mon expédition visait à identifier des innovations Internet répondant à des enjeux d’utilité publique.

Intersection de 3 secteurs

Avant de vous raconter cette expérience et de vous inviter à la poursuivre via ce blog, laissez-moi vous dresser le tableau avec quelques définitions préalables :

  • Innovation : cf. qu’est-ce que l’innovation ? pour ma compréhension du sujet ; l’innovation relève pour moi d’une démarche de recherche entreprenariale.
  • Internet : pas de doute, on sait ce que c’est ; mais pour être plus précis, mon intérêt est centré sur les technologies de gestion/traitement des connaissances issues de l’Internet (web sémantique, data mining, personnalisation, technologies pour le knowledge management) et les technologies Internet de mise en relation (social software), bref partout où il y a du lien, de la complexité et des réseaux relationnels (entre concepts, personnes, objets)
  • Enjeux d’utilité publique, intérêt général : le champ est large et couvre aussi bien le monde associatif, le secteur public et l’économie sociale que des services Internet dont on aurait aujourd’hui du mal à se passer (Google est-il devenu un service d’utilité publique ?) ; mon intérêt est plus particulièrement centré sur le développement local.

Cet été, j’ai donc profité de quelques semaines de mes vacances pour explorer cette terra incognita, avec certaines questions en tête. Peut-on profiter des techniques issues de l’Internet pour changer de manière durable (innover) la société (utilité publique) ? Qui en parle et qui en fait ? Que faire (en tant que bénévole ou professionnel) pour contribuer à de telles innovations ? De rencontre en recontre, les questions se sont accumulées : les « innovations Internet d’utilité publique » (IIUP pour les intimes), est-ce que ça existe vraiment ? IIUP = OVNI ? qu’est-ce que c’est précisément ? On trouve assez facilement des exemples d’IIUP relevant de bricolages bénévoles de haute qualité mais cantonnés au monde du bénévolat et de l’amateurisme à petite échelle ; peut-on faire de l’innovation Internet d’utilité publique à grande échelle et avec des moyens vraiment conséquents ?

Voici donc le récit de nos rencontres (je change vos prénoms par anonymat de politesse…).

Chez un gros éditeur logiciel américain, Benoît, directeur commercial a la gentillesse de me recevoir. C’est l’un de mes anciens fournisseurs, avec qui je garde un bon contact. Bon, franchement, les IIUPs, ça le laisse un peu sec. Mais pour lui, pas de doute, il faut regarder du côté de l’Agence pour le Développement de l’Administration Electronique afin de repérer des projets innovants de grande ampleur. La Feuille d’impôt via Internet change-t-elle la société ? Mmm… Benoît m’avoue que, franchement, lui ne se voit que comme un vendeur de plomberie. A la limite, ce pourrait être ses clients qui pourraient faire des choses innovantes avec les logiciels qu’il leur vend. Il pense que l’un de ses collègues pourra peut-être me donner des pistes plus précises car il vend pas mal auprès du secteur public.

La jungle semble bien inextricable dans la région du commerce informatique professionnel : de la techno, certes mais peu ou pas d’innovation et, comme on peut s’y attendre, une absence totale d’utilité publique. Je dois mieux cibler mon approche.

Jean-Louis, vieux loup de l’associatif et du développement local et directeur d’un cabinet de conseil en conduite du changement, me reçoit avec sa générosité habituelle et m’invite dans sa brasserie préférée. Miam. Ma démarche le déconcerte peut-être un peu mais qu’à cela ne tienne, il m’accorde une attention toute perspicace. Il me parle des tentatives d’une grosse ONG française pour approcher les grandes entreprises sur des projets de type IIUP. Il me parle aussi du projet Digital Bridge d’Alcatel. Mais il me met également en garde contre l’auto-enfermement qui me guette si je me concentre sur la techno et les théories plutôt que sur la richesse de mon prochain, contre le mirage de la toute-puissante technologie qui cache l’homme et contre la méfiance voire le dégoût que la plupart des vieux loups du monde associatif conservent vis-à-vis de l’économique et du monde de l’entreprise. Pour me préserver de perdre contact avec mon prochain, il me prescrit la lecture de Simone Weil. Pour poursuivre mon exploration et découvrir des IIUPs, il me recommande de suivre la piste de la (petite) équipe Digital Bridge d’Alcatel.

Je ne suis pas encore passé à la pharmacie bibliothèque mais j’ai déjà compris que je tenais avec Alcatel une piste fragile mais prometteuse. Y a-t-il quelqu’un d’Alcatel dans la salle ? Poursuivons notre exploration.

Philippe est un entrepreneur aguerri dans le terrain du knowledge management. Innovation et KM ça le connaît. En plus, il a des projets plein la tête. Distribuer de la connaissance médicale « prête à l’emploi » à des médecins africains, ça fait longtemps qu’il y pense et qu’il s’y prépare ! Problème… Philippe est préoccupé par de gros soucis avec ses nouveaux associés.

Ce n’est pas le moment pour explorer avec lui plus avant la jungle des IIUPs. Il faut d’abord qu’il se rassure sur son gagne-pain. Ce n’est que partie remise.

J’avais rencontré Daniel dans un cadre associatif. Elu local en province, c’est par téléphone que nous nous entretenons. Il maîtrise parfaitement le sujet des projets coopératifs d’innovation locale grâce aux technologies Internet. Mais la dimension entreprenariale des innovations Internet d’Utilité Publique lui est étrangère. Pas de doute pour lui, l’intersection de l’utilité publique et de la technologie Internet grouille d’initiatives associatives locales, fourmille de projets d’espaces publics numériques, de sites Web citoyens, d’îles sans fils. Mais de là à parler de démarche économique ou de social entrepreneurship, c’est un pas que nous ne franchirons pas ensemble par téléphone. Pour lui, la bonne piste à suivre (si piste il y a), c’est sans doute celle de la FING. Ou peut-être à la limite de France Telecom, mais bon… avec peu d’espoir de succès.

Mmm… La FING, bien sûr, c’est facile. France Telecom, ça m’étonnerait, mais il faudra bien de toute manière explorer cette piste confuse, trompeuse et difficile. Mais par où la commencer.

A la FING, c’est naturellement vers Fabien que je me tourne. Fabien est une sorte de consultant comme on en recontre peu. Il connaît l’économie sociale comme sa poche. Il maîtrise l’Internet comme pas deux. Et les innovateurs, c’est son coeur de métier. Pour couronner le tout, c’est un copain à moi. Bref, l’interlocuteur idéal. Les Innovations Internet d’Utilité Publique, il en rêve. Il regrette les faibles moyens qui sont mobilisés sur ce sujet. Il n’est pas encore très au fait de la mode américaine du social entrepreneurship : mettre la force économique au service d’innovations d’intérêt général. Sans parler d’économie de communion. Mais il pense que c’est une piste qui a du sens. Peut-être ne découvrirais-je pas d’Eldorado des IIUPs mais ça ne l’étonnerait pas qu’un jour… quelqu’un comme vous, lui ou moi contribue à en construire. Il m’aide donc à cibler au mieux la poursuite de mon exploration, me suggère de vous raconter toutes mes découvertes sur mon blog et m’ouvre tout son carnet d’adresse (qui est sans fond, j’en témoigne).

Il m’introduit notamment auprès de son boss, Daniel et auprès de Claude (France Télécom). Il me semble qu’on avance ! Merci !

Daniel, consultant expérimenté en innovation publique et grand chef de la FING, se révèle également d’une grande sensibilité à l’intérêt de ma quête des IIUPs. Il y contribue à son tour en me recommandant auprès de responsables de l’innovation de plusieurs de nos vénérables institutions publiques françaises. Pour lui, les acteurs les mieux placés pour mener des IIUPs sont sans aucun doute les collectivités territoriales. L’Etat a-t-il encore vraiment les moyens de mener de telles innovations à grande ampleur ?

Il faut poursuivre dans ce sens. Chemin faisant, les contacts et les pistes se multiplient mais je sens que j’avance dans la bonne direction. Je sais déjà que je ne suis pas le seul à croire à la possibilité de changements sociétaux de belle ampleur et motorisés par des technologies issues de l’Internet. Les IIUPs ne sont pas des OVNIs (« je veux y croire » en tout cas). Allez, en avant…

C’est dans la jungle du RER que je tombe sur mon étape suivante : j’y reconnais Xavier. Je l’avais rencontré sur recommendation d’un très bon ami à une époque où je m’intéressais au rôle des ingénieurs dans le secteur public. Si je ne me trompe pas, il doit en connaître un rayon sur les innovations dans le secteur public. Pour peu qu’il s’intéresse à l’Internet… Je l’aborde et lui demande ce qu’il devient. Surprise : il dirige justement des recherches sur le knowledge management pour un grand ministère ! Double-surprise, un ministère s’intéresse au knowledge management à tel point qu’il finance des projets de recherche sur le sujet ! Xavier m’accorde donc un bon morceau d’après-midi pour que nous partageions nos passions communes et notre intérêt pour les innovations Internet d’utilité publique. J’y découvre comment les techniques de représentation des connaissances pourraient être utilisées pour formaliser l’expertise métier contenu traditionnellement dans les énomes annexes techniques des plus gros appels d’offres publics. J’imagine le champ des applications : aide au dépouillage des réponses à des appels d’offres complexes, contrôle semi-automatisé de la conformité des livrables des appels d’offres, formation des nouveaux ingénieurs du secteur public, etc. Comme pour de nombreux autres business, les métiers traditionnels de l’Etat peuvent avoir à gagner à mieux gérer leurs connaissances. J’y apprends également l’existence de projets d’universités en ligne ouvertes dont l’un des objectifs est de démocratiser l’accès à la connaissance par la mise en commun de contenus pédagogiques d’intérêt public. L’université de Phoenix, leader privé de l’enseignement en ligne, sera-t-elle un jour concurrencé par des services publics européens d’enseignement en ligne pour ingénieurs par exemple ? De tels projets se préparent mais n’en sont qu’à l’état larvaire semble-t-il. Et, encore une fois, ils semblent s’appuyer davantage sur du bénévolat et l'(in)attention bienveillante de l’Etat que sur une démarche volontaire d’innovation durable et économiquement viable. Comment aller plus loin ?

Il est temps de suivre les pistes repérées précédemment. Comment ça se passe du côté des collectivités locales ?

Alain dirige les projets « nouvelles technologies » d’un conseil général rural . Alain, l’un de mes anciens clients, a un profil rare : c’est un ancien entrepreneur reconverti au secteur public. L’économique, il sait ce que c’est. La techno, ça le fait vibrer. Et le secteur public, il y consacre sa vie professionnelle. Il me confirme immédiatement que ce sont les collectivités territoriales qui sont les plus susceptibles d’être innovantes en matière de nouvelles technologies (comparées à l’Etat). Ceci s’explique notamment parce qu’elles ont une pression (électorale) beaucoup plus immédiate et des enjeux plus concrets à traiter. Cependant, les budgets ne suivent pas forcément les augmentations de responsabilité (et d’effectifs). Pour Alain, les facteurs clefs de succès pour un conseil général qui veut mener à bien des projets numériques sont le fait de pouvoir s’appuyer sur des grosses communes, de savoir gérer des relations multi-partenaires et de savoir faire face à l’usager-client. Alain se prend à rêver avec moi aux départements qui lui semblent avoir les plus beaux challenges à relever (et les plus importants moyens ? ) en matière de nouvelles technos pour mener des innovations d’utilité publique : le 93 et le 59. En administration centrale, c’est peut-être le ministère des finances qui est l’administration la plus intéressante de son point de vue. Mais bon, personnellement, je ne me sens pas vibrer devant une feuille d’impôt fut-elle électronique. OK, c’est utile. Et c’est innovant. Un peu. Un tout petit peu, à mon avis. Mais je suis exigeant en la matière. Alain m’indique quelques références de consultants spécialisés sur son domaine. Mais j’ai déjà renoncé à trouver des consultants porteurs d’innovation. Le métier du conseil consiste trop souvent à limiter au maximum les risques (du consultant et, parfois du client) et à resservir le plus grand nombre de fois les mêmes recettes et ce, le plus cher possible. Le métier du conseil, c’est de comprendre le client, pas de prendre des risques à sa place. Confirmant les indications de Daniel de la FING, Alain me recommande de me raprocher de la Caisse des Dépôts : au croisement de l’économique et des collectivités locales, la CDC doit avoir une vue privilégiée des innovations Internet d’utilité publique auxquelles nous rêvons.

Sur ces bons conseils, je me taille donc un chemin jusqu’à la caisse des dépôts. J’y découvre une équipe dédiée à l’innovation au service des collectivités locales et des usagers des services publics. Ai-je enfin découvert l’eldorado des innovations Internet d’utilité publique ? Peut-être en partie. On y parle investissement raisonné dans de nouvelles offres de services publics économiquement rationnelles voire profitables à long terme. Comme souvent, les premiers sujets explorés ont été les infrastructures : espaces publics numériques pour l’accès du public à l’Internet dans des lieux publics, et depuis quelques années infrastructures réseaux et alternatives aux offres de l' »opérateur historique » (il faudra que je finisse par aller le voir, celui-là aussi…). Mais on parle aussi de service public en ligne personnalisé, de cartable numérique et autres grands projets d’utilité publique. Et les moyens mobilisés dans la Caisse des Dépôts semblent bien réels, au moins en terme de personnel. Bien sûr, la caisse n’a pas une culture d’innovation façon Silicon Valley ! Mais se pourrait-il qu’au sein d’une si vénérable et rhumatisante structure susbiste une petite équipe d’irréductibles innovateurs ? Se pourrait-il que tous ces projets d’innovation réussissent à éviter les écueils des clientélismes politiques et des échéances électorales tout en restant axés sur de véritables enjeux d’utilité publique ? Ce serait tellement bien si c’était vrai… Ce n’est pas ce premier entretien qui me permettra de me faire une idée définitive sur la question. En tout cas, j’ai encore une fois obtenu la confirmation qu’il existe des projets Internet d’utilité publique menés par des acteurs sérieux et y mobilisant des moyens importants en argent et en compétence. Bonne nouvelle pour les collectivités ! Par contre, on est dans le registre du gros projet structurel davantage que dans la bidouille agile et productrice de ruptures sociales et économiques profitables. On est dans le raisonnable et dans le planifié, pourriez-vous me dire : on ne change pas la société avec de la techno ? Quoique, il faut bien la changer avec quelque chose, non ? Ou bien, à tout le moins, les projets les plus innovants menés par la Caisse des Dépôts (cartables numériques, …) sont encore loin d’avoir fait leurs preuves. Et ces preuves ne semblent attendues qu’à long terme. De la Caisse des Dépôts à la startup, il y a une différence, non ? OK.

Bonne pioche avec la caisse des dépôts. Cette étape de ma recherche a été fructueuse en renseignements et en prises de contact. Voila une équipe centrée sur les innovations Internet d’utilité publique, pas de doute, même si l’approche adoptée semble bien loin du social entrepreneurship d’une part, de la garage company d’autre part. Mais il ne faut pas s’en étonner, on reste dans le domaine du financement de projets du secteur public.

Et l’opérateur historique, alors ? Fabien m’a mis en contact avec Pierre. Pierre, chercheur et entrepreneur dans l’âme, connaît par coeur France Telecom pour y travailler depuis longtemps déjà. Pierre m’accueille chaleureusement au centre de recherche de France Telecom et me met immédiatement au parfum : faut pas rêver, c’est pas chez FT qu’on trouvera de l’innovation Internet d’utilité publique. D’ailleurs, d’après lui, la rumeur est exacte : on n’y trouvera pas d’innovation tout court. FT a un beefsteak à défendre et il se passera encore longtemps avant que FT ne se retrouve en situation tellement concurrentielle qu’il sera forcé à innover pour conquérir de nouveaux marchés. Le trait est sans doute un peu forcé mais à peine. Et, bureaucratie faisant, ce n’est pas un environnement propice à l’innovation. Mais alors, pourquoi ces observations ne s’appliqueraient pas également à la caisse des dépôts ? En appliquant mes observations de la caisse des dépôts, et en étant optimiste, on peut au mieux imaginer qu’il existe chez FT quelques écosystèmes de niche internes au sein desquelles susbsitent des équipes mobilisant des moyens importants pour construire et commercialiser des offres de services nouvelles et répondant à des besoins d’acteurs publics ou de véritables attentes sociales ?

Pierre a en tout cas achevé de me décourager à chercher dans l’immédiat des pistes d’IIUPs chez France Telecom. Au contraire, il me donne généreusement de nombreuses pistes pertinentes à explorer dans son carnet d’adresses.

Une de mes anciennes collègues de travail m’avait fait découvrir l’économie de communion. A l’occasion d’une conférence sur ce thème, je rencontre la directrice d’un groupe agro-alimentaire. Celle-ci cherche maintenant à mettre ses compétences managériales et entreprenariales au service d’enjeux d’utilité publique, sur des thématiques de développement durable. Peu familière de l’univers des nouvelles technologies, elle m’invite cependant à rencontre Bernard un business angel qui cherche à répondre à des problématiques d’utilité publique par les outils du financement et de l’accompagnement de petites entreprises. Celui-ci évoque avec moi quelques projets sur lesquels il travaille. Il se révèle l’une des rares personnes rencontrées qui se situe à l’exact croisement des démarches d’innovation et de réponse à des enjeux d’utilité publique, plus particulièrement environnementales. Il me prouve, si cela était nécessaire, que les acteurs du secteur public sont bien loin d’avoir le monopole des innovations d’utilité publique. Nous évoquons ce en quoi l’Internet pourrait être utile pour de tels projets : du plus utopique avec la commercialisation de services en lignes de médiation appliqués au développement local jusqu’au plus prosaïque avec celle de services en ligne d’information sur la qualité de l’environnement dans les grandes villes françaises. Bernard semble un pont rare entre pur entreprenariat et économie sociale. Il serait sans doute une aide précieuse pour les social entrepreneurs qui émergeront un jour sur les marchés français.

Je ne peux terminer cette expédition estivale sans prendre le temps d’appeler mon pote Jean-Paul. Jean-Paul, ancien directeur d’association est aujoud’hui consultant Internet expérimenté auprès de collectivités locales et du tiers secteur. Il m’explique pourquoi son projet de création d’entreprise d’insertion par les nouvelles technologies n’a jamais pu voir le jour : l’incompétence professionnelle d’institutionnels de l’insertion pour l’économique y est pour quelque chose. Le dégoût et la méfiance des « vieux roudoudous du monde associatif » n’y sont pas pour rien. Alors, tout espoir est-il perdu de voir un jour des innovations privées répondant à des enjeux d’utilité publique à l’aide des technologies Internet ? Jean-Paul pense qu’aujourd’hui, les seuls acteurs qui peuvent prétendre à faire du sérieux dans le domaine, ce sont les équipes d’ingénierie des télécommunications des grosses ONG internationales, quoique ce ne soit certes pas dans une démarche entreprenariale. Alors, où verra-t-on de vraies IIUP demain ? Il hésite un instant et me confie : l’enjeu d’utilité publique auxquelles de telles innovations pourraient répondre de la manière la plus profitable, c’est le financement de micro-projets associatifs. Oh-oh ! Voila qui m’inspire… Il faudra que je (lui et) vous présente bientôt le projet que cette idée m’inspire.

Cette expédition a pris fin dans le courant de l’été : il fallait bien que je parte véritablement en vacances à un moment donné, non ?! Récapitulons les questions que je me posais initialement et mes conclusions à ce stade de mes recherches :

  • les innovations Internet d’utilité publique ne sont plus totalement terra incognita puisque je suis revenu vivant de cette expédition pour vous en parler
  • Peut-on répondre durablement à des enjeux d’utilité publique avec l’Internet ? Je n’en ai pas acquis la preuve mais nous sommes nombreux à y croire, alors pourquoi pas.
  • Les IIUPs, est-ce que ça existe vraiment ? est-ce un OVNI ? Peut-on faire de l’innovation Internet d’utilité publique à grande échelle et avec des moyens vraiment conséquents ? Ces entretiens m’ont permis de rencontrer plusieurs personnes affirmant qu’ils ont vu voire rencontré des IIUPs. Pour certains, il s’agit même de sujets de travail sur lesquels sont mobilisés des moyens significatifs dans quelques grandes organisations.
  • Qui s’est déjà attelé à de tels projets ? La carte ci-dessous récapitule les principaux acteurs que j’ai pu répérer et/ou rencontrer jusqu’ici. Il me faudra un jour positionner sur cette carte des acteurs tels que le Réseau Idéal, 6nergies, Ilog, Sofrecom, l’UNIT Consortium, Sopinspace, la DATAR, Ashoka, Navidis, Novethic et d’autres…

Acteurs des innovations Internet d'utilité publique

Malheureusement, l’été a été trop court pour explorer toutes les pistes qui se sont offertes à moi. Et, reprise oblige, j’ai moins de temps pour explorer ces pistes par des entretiens face-à-face (sauf à déjeuner ensemble, bien sûr). Alors je me tourne également vers vous pour m’aider à affiner ces idées. Comment croiser, en France, utilité publique, entreprenariat et nouvelles technologies ? Ces ingrédients peuvent-ils prendre en mayonnaise ? Où sont les grands Chefs cuistot en la matière ? J’aimerais savoir ce que tout cela vous inspire. Comment voyez-vous les choses ? Qui peut me donner plus de tuyaux à ce sujet ? Comment poursuivre cette exploration et dans quelles directions ?

Economie de communion : utiliser l’entreprise pour rendre le monde meilleur

L’économie de communion est un concept issu d’un mouvement  de l’Eglise catholique appelé les Focolari. Autant les Focolari semblent avoir une saveur un peu hippie-catho/communautaire/charismatique qui peut faire peur ou rigoler, autant l’Economy of Communion (EoC) est un concept que je trouve très percutant et pertinent, notamment mis en perspective du phénomène open source avec lequel il partage de nombreux points communs du point de vue idéologique tout du moins. Il s’agit d’un concept d’autant plus percutant qu’il a déjà été adopté et mis en oeuvre au sein de plus de 700 PME en Italie, au Brésil et ailleurs.

Les ambitions de l’EoC

L’Ecole pour les Entrepreneurs de l’Economie de la Communion propose à des dirigeants d’entreprise de les aider à comprendre

comment il [leur a été] possible de […] faire les bons choix : en étant les premiers à aimer les autres, en induisant ainsi un amour réciproque au sein de la firme, ce qui à son tour attire l’attention des cieux et l’action de notre partenaire caché et divin directement au sein de l’entreprise

Tout un programme théologico-économique ! Mais qu’est-ce qui se cache sous ce jargon catho ? Les entrepreneurs de l’EoC se donnent comme objectif de

démontrer qu’il est effectivement possible d’appliquer la communion dans l’économie et montrer ainsi que ce nouveau comportement économique est basé sur une rationnalité plus large qui anticipe un modus operandi qui deviendra inévitable dans un futur raisonnable.

D’après le professeur Bruni,

L’EoC espère transformer les structures d’entreprise de l’intérieur en réussissant à éclairer les relations internes et externes des sociétés à la lumière d’un style de vie basé sur la communion c’est-à-dire sur le ‘don réciproque’ que ce terme implique […] Le challenge de l’EoC est de relire les pratiques organisationnelles quotidiennes à la lumière de cette notion de don et de communion.

Tout cela a vraiment l’air d’avoir quelque chose en commun avec les challenges (et l’idéologie) de l’économie open source : économie du don, pratiques communautaires, comportement et rationnalité économiques paradoxaux mais promis à un large succès… L’économie de la communion est-elle l’open source de l’Eglise catholique ?

Les difficultés auxquelles s’affronte l’EoC

Si les entreprises telles qu’on les connaît ne sont pas toujours des petits nids d’amour, c’est que

le raisonnement moral des gens [y] est coupé des réalités profondes de leurs vies, créant ainsi ce que de nombreuses personnes appellent « une vie fracturée ». C’est je pense l’une des raisons principales pour lesquelles construire des communautés authentiques au travail est si difficile. […] Il y a une forte tentation dans l’organisation de voir toute chose professionnelle […] comme un simple instrument d’accès aux profits ou au succès individuel. […] L’ubiquité [de ce type de rationnalité] exclut toute forme de rationnalité morale […] Cette rationnalité instrumentale tend à concentrer la responsabilité sociale de l’entreprise sur […] le don de bénéfices à des pauvres [(mécénat caritatif)], le don de temps personnel à des activités caritatives, la fourniture d’avantages divers aux employés, etc. au détriment de la manière dont s’effectue réellement le travail [quotidien] telle que la manière de rémunérer les gens, de concevoir les postes de travail, les processus de prise de décision, le marketing, les structures de propriété [(d’actionnariat)], la stratégie, le gouvernement d’entreprise, etc. L’instrumentalisme ambiant empêche la transformation morale et spirituelle de la manière dont chacun appréhende son travail et sa manière de travailler.

Du point de vue théorique, les tenants de l’EoC défendent que la théorie économique entre dans le champ plus large des théories morales, que l’idée selon laquelle la rationnalité économique est guidée par l’optimisation de ses stricts intérêts par l’individu a ses limites, qu’il n’est pas théoriquement impossible qu’un système économique tout entier puisse petit à petit voir des formes de rationalité économiques paradoxales devenir monnaie courante et qu’enfin une rationalité économique basée sur la notion chrétienne de communion (ou, plus largement, sur le don réciproque) est tout à fait… rationelle. Finalement, du point de vue théorique, l’EoC essaie de renvoyer l’homo economicus à la responsabilité morale qui guide forcément ses comportements économiques.

L’EoC en pratique

Les entreprises de l’EoC pratiquent la distribution d’une partie de leurs bénéfices à des oeuvres caritatives. Mais Lorna Gold explique que

la logique de communion [qui sous-tend l’EoC] ne se limite à cette dimension de distribution. Elle concerne la manière dont on traite les clients, la structure de tarification, la gestion de crises, la gestion des débiteurs etc. Très clairement, l’efficacité globale est essentielle, mais l’approche « au cas par cas » domine et est guidée par le désir de comprendre les besoins de son prochain.

En prenant l’exemple des politiques de rémunérations, Naughton note que

les rémunérations sont génératrices d’insatisfaction et non de satisfaction. Les rémunérations en elles-mêmes ne peuvent bâtir une communauté mais peuvent empêcher une communauté. […] [Du point de vue chrétien] le travail ne peut jamais être réduit au salaire versé. […] Il vaut mieux éviter de parler des salaires comme un échange [économique] mais plutôt comme éléments d’une relation de travail entre employeur et employé, relation qui a en son centre une dimension de don qui peut servir à renforcer une communauté professionnelle. [Cependant, il faut bien noter que] certains postes sont conçus tellement mal, de manière tellement idiote et bureaucratique qu’il devient très difficile [pour l’employé] de pouvoir faire preuve de don dans une telle situation. [Selon l’EoC, trois principes doivent guider les décisions de rémunérations :] satisfaire les besoins des employés (salaire minimal), reconnaître leurs contributions (salaire équitable), permettre un ordre économique durable pour l’entreprise (salaire durable).

Pour Michael Naughton, cet exemple des politiques de rémunérations illustre bien du point de vue de l’EoC

l’art de la réflexion de niveau intermédiaire qui fait le lien entre la théologie de la communion et les pratiques opérationnelles et quotidiennes de l’entreprise

Leo Andringa illustre la question des relations hiérarchiques dans l’entreprise et des modèles organisationnels en évoquant le fait que

l’organisation des entreprises est un « résidu de la société féodale ». Les idées révolutionnaires de liberté et d’égalité ont influencé l’Eglise, la famille et les institutions mais […] à l’opposé, n’ont pas touché l’essence capitaliste du système de l’entreprise. [… ] Du point de vue de la théorie de l’organisation, il est clair qu’une organisation […] ayant une finalité unique exprimée en cibles financières (chiffre d’affaires, bénéfices, trésorerie, valeur pour l’actionnaire) peut être relativement simple et […] très hiérarchique. [Mais] la principale motivation de l’entrepreneur EoC est de vivre la communion dans un environnement commercial. […] Plus l’objectif d’une organisation est complexe […] plus sa forme organisationnelle le sera.

Benedetto Gui précise que, dans l’EoC,

être un entrepreneur (ou un dirigeant ou quiconque ayant des responsabilités dans l’entreprise) est vu comme une véritable vocation : la vocation d’atteindre des valeurs élevées (et même des valeurs spirituelles) à travers l’accomplissement de tâches séculaires.

M. Andringa cite son expérience personnelle et ses relations en tant que patron avec son assistant :

Chaque fois que j’avais une décision importante à prendre pour l’entreprise, je lui faisais part de mes motivations et arguments. Il était une sorte de miroir pour moi. Lorsque je lui exposais mes arguments, je sentais immédiatement si ils tenaient ou non la route. En tant que directeur, c’était une expérience particulière que de prendre les décisions en [communion]. C’était une réalité que je vivais déjà dans ma vie privée et dans ma famille mais je la transposais pour la première fois dans la réalité de la direction d’une entreprise. […] En pratique, on voit qu’un grand nombre d’entrepreneurs veulent confronter leurs décisions d’importance avec autrui. […] Il est clair qu’une telle vision de l’entreprise ne peut se concrétiser sans la coopération de la majorité des actionnaires et la coopération ou la connaissance de la plus grande part des employés. Ce n’est que dans les entreprises où la communion est à tous les niveaux que ceux qui ont les rênes de l’entreprise peuvent être l’expression de la solidarité plutôt que celle de leur vision personnelle.

Le lien entre l’EoC et la responsabilité sociale des entreprises

Leo Andringa rappelle que

bien que de nombreuses multinationales ont gardé leurs oeillères fixées sur la croissance de leurs profits, nombre d’entre elles se sont impliquées dans l’augmentation de leur responsabilité sociale d’entreprise. […] La philosophie de l’EoC ne coïncide pas avec ce que l’on appelle maintenant la « Corporate Social Responsability » : en fait l’EoC a une responsabilité environnementale « par vocation » et non pour des buts de communication, d’image ou de [réponse à une] pression sociale. [L’EoC] exige beaucoup plus. […] Comment l’entreprise peut-elle réconcilier les intérêts de tous ceux qui dépendent d’elle : les actionnaires, les clients, les fournisseurs, la société civile ? Du point de vue [de l’EoC] il n’y a pas de réponse théorique à ce problème. Lorsqu’il est impossible de résoudre ce problème méthodologique à un niveau matériel, une solution est à trouver à un autre niveau [(spirituel, moral)].

Les atouts des entreprises EoC

Benedetto Gui explique que

les préoccupations [éthiques] des entreprises EoC font peser une charge additionnelle sur les dirigeants qui se sentent dans l’obligation implicite de garantir à leurs employés non seulement de bons emplois mais également des occasions de développer des relations interpersonnelles positives et de s’engager dans leurs activités professionnelles en accord avec leurs valeurs morales. Cependant, il y a un avantage à cet inconvénient : celui d’un surplus de motivation et de mobilisation de ressources volontaires. C’est grâce à ce phénomène que de nombreuses entreprises EoC survivent ou même connaissent le succès, malgré le « handicap » que représente leur adhésion à des principes de comportements telles que le respect de l’environnement, de la loi, etc.

Un témoignage dans le magazine de l’EoC illustre ce phénomène : Marcelle, responsable d’une toute petite exploitation agricole en Côte d’Ivoire, raconte sa surprise lorsqu’elle a constaté que ses ouvriers venaient prendre soin des plantations pendant leurs congés ou lorsque les événements politiques l’ont éloignée de son exploitation…

Avez-vous déjà repéré des sociétés françaises pratiquant l’économie de la communion ?