Parents biologiques, génétiques, juridiques, adoptifs, affectifs, matériels… tout court?

Je viens de voir un reportage du magazine télé « Enquête d’action » de la chaîne W9 au sujet de la procréation médicalement assistée (PMA). Les sujets étaient intéressants : droit de la paternité, don d’embryon en France, don direct (i.e. non anonyme) d’embryon de la Belgique à la France, dons directs d’embryons aux USA… Pour faire très court, il en ressort très globalement, que l’essentiel est la relation affective parents/enfant (l’amour, quoi !) et que cette relation est un peu malmenée par la loi française ainsi que, peut-être, soumise à certains risques pour l’enfant dans certains cas où la loi française n’est pas appliquée (non respect de l’anonymat du don de gamètes par exemple). Cette émission a eu ceci de bien qu’elle n’a pas trop semblé porter de jugement moral sur les situations mais s’est plutôt efforcé de les exposer, des les confronter et de les faire connaître, en évitant les excès du sensationnalisme (malgré le titre « un enfant à tout prix » qui me faisait craindre le pire…).

Mais ce qui me chagrine, c’est qu’il y a encore, de ci de là, des expressions  et des raccourcis journalistiques qui me choquent. Alors j’aimerais vous faire ma leçon de vocabulaire à moi pour que certains me disent ce qu’ils en pensent. Je précise que mon point de vue est celui d’un papa d’enfants nés avec PMA et dons de gamètes. Je connais donc bien le sujet de la PMA en tant que personne directement concernée. Et vous comprendrez donc que je suis très attaché à ce qu’on ne confonde pas les différentes dimensions de la parentalité : biologique, génétique, juridique, affective…

Vocabulaire de la parentalité, façon Sig :

  • « parent génétique » (« père génétique » ou « mère génétique ») : c’est une femme dont un ovocyte, ou un homme dont un spermatozoïde, après fécondation naturelle ou aidée (PMA) permet la naissance de l’enfant
  • « parent biologique » (« père biologique » ou « mère biologique ») : c’est une femme  qui porte l’enfant puis lui donne naissance, qu’elle soit ou non la « mère génétique » ou bien c’est un homme dont le coït a causé la naissance de l’enfant (à moins que l’on n’admette que la notion de père biologique n’a pas de substance, je vous laisse décider ?)
  • « parent juridique » (« père juridique » ou « mère juridique ») : c’est un homme ou une femme à qui sont attachés des droits et devoirs de parent envers l’enfant, aux termes de la loi d’un pays donné
  • « parent adoptif » (« père adoptif » ou « mère adoptive ») : c’est un homme ou une femme qui a bénéficié d’une décision juridique d’adoption de l’enfant ; c’est un cas particulier de la parentalité juridique
  • « parent affectif » (« père affectif » ou « mère affective ») : c’est un homme ou une femme avec qui l’enfant a tissé une relation affective d’amour (ou de haine…) filial ; NB : je ne parle pas de réciprocité de cette relation et donc je ne parle pas de la relation que l’homme ou la femme a tissé avec l’enfant
  • allez, ajoutons aussi le « parent matériel » (« père matériel » ou « mère matérielle ») mais il faudrait peut-être trouver un meilleur terme ? il s’agit de l’homme ou de la femme qui comble les besoins matériels de l’enfant

Par conséquent, si vous adoptez ce vocabulaire, vous conviendrez peut-être, comme moi, que :

  • à moins que l’on n’invente un jour une technique de PMA avec don de spermatozoïdes et coït du couple bénéficiaire, le père biologique est forcément aussi le père génétique ou bien il y a un père génétique (donneur) mais pas de père biologique ; voila de quoi inventer des nouvelles de science fiction plutôt amusantes dans lesquelles on injecterait les spermatozoïdes du donneur dans les bourses du père biologique bénéficiaire… :-)
  • la plupart du temps, l’expression « mère biologique » est utilisée en opposition à l’expression de « mère adoptive » puisque l’on n’a alors généralement que deux femmes à distinguer : la femme mère adoptive (donc mère juridique) qui est aussi, c’est souhaitable, la mère affective et l’autre femme, à la fois mère biologique et mère génétique ; par conséquent, les gens ont tendance à se cabler le cerveau de la manière suivante : « mère biologique = toute mère qui n’est pas la mère affective », bref c’est l’amalgame et la confusion quand on arrive dans les cas de la PMA et non plus dans ceux de l’adoption
  • une « mère porteuse » est mère biologique mais c’est tout : ni mère génétique, ni mère affective, ni mère matérielle (parfois mère juridique selon les lois de certains pays ?)
  • la forme essentielle de parentalité, sur le plan moral, est (devrait être ?) la parentalité affective, non ? et la parentalité matérielle
  • le parent génétique n’est pas un parent à proprement parler et ce terme est abusif : ce n’est pas parce que l’on donne de ses cellules, fussent-elles aussi particulières et « puissantes » que des gamètes (spermatozoïdes ou ovocytes), que l’on devient parent ; pour devenir parent, il faut au moins ajouter à cela une fécondation et un enfant à naître ; un terme plus approprié, dans le cas des dons de gamètes me semble être « le donneur » ou « la donneuse », l’enfant pouvant dire par exemple « ma donneuse » ou « mon donneur », pourquoi pas ; le donneur n’est pas plus parent génétique que le médecin de PMA n’est parent médical.
  • le professeur Montaigu (orthographe ?) qui a permis, en France, de développer les dons d’embryon (bravo et merci !!!) et son équipe emploient le terme de « géniteur » et « génitrice » pour désigner le donneur et la donneuse de gènes ; pour moi, l’idée de géniteur ou génitrice renvoie à une notion davantage liée à la grossesse qu’au don de patrimoine génétique et ce terme est également inaproprié. A titre de justification, prenons l’exemple des thérapies géniques qui permettent (euh… permettront ?) à des êtres humains de recevoir, une fois adultes, des extraits du patrimoine génétique pouvant provenir d’autres êtres vivants (humains ou non), à des fins thérapeutiques. On ne pourra pas dire que les donneurs de ces gènes sont des géniteurs ou des génitrices. Le fait d’engendrer n’est pas le fait de donner un patrimoine génétique. Donner des gènes n’est pas engendrer. Et ce terme de géniteur/génitrice me semble donc renforcer la confusion entre le concept de donneur et de parent biologique. Par contre, l’avantage de ce terme est de souligner qu’être donneur n’est pas être parent, même génétiquement et ça, c’est très juste.
  • autrement dit, et pour faire court : le donneur génétique n’est ni géniteur ni parent génétique
  • il est trompeur (et blessant !) de dire d’une femme qui a porté et donné naissance à l’enfant après avoir bénéficié d’un don d’ovocytes ou d’embryons qu’elle n’en est pas la mère biologique : elle est la mère biologique mais pas la mère génétique ; c’est elle qui a porté et donné naissance ; c’est bien elle la personne la plus concernée par la transformation d’un oeuf fécondé (l’embryon) en un être vivant ; c’est bien en son sein (j’me comprends : son utérus !) que la vie (« bio-« ) est apparue ; alors stop aux journalistes qui disent « mère biologique » quand ils parlent de la donneuse ; la donneuse a fait un don (comme un « super-génial don du sang, mais en carrément mieux ! ») mais elle n’est ni mère biologique ni même mère de l’enfant !
  • les abus de la loi française d’il y a encore peu d’années ont été dénoncés dans le sujet sur la paternité : un père affectif et matériel d’un enfant s’en occupe pendant 7 ans puis se fait « mettre à la porte » par la mère qui révèle et prouve qu’il n’est pas le père génétique… et une autre obtient des dommages et intérêts et une pension alimentaire d’un homme, père biologique, à qui elle a « fait l’enfant dans le dos » et à qui elle a caché l’existence de cet enfant pendant 4 ans. Le caractère moralement abusif des décisions juridiques d’alors (qui donnaient raison à ces 2 mères) me semble lié au fait que la notion de père juridique (le droit de la paternité) négligeait alors trop le rôle de père affectif au profit d’une notion génétique ou biologique de la parentalité, ce qui se révéla scandaleux… Les journalistes expliquent qu’aujourd’hui, on ne peut plus contester son rôle de père juridique à un homme qui aura joué ce rôle (et aura notamment été père matériel, je crois) pendant plus de 5 ans. Notons cependant qu’encore aujourd’hui, si la maman décidre de mettre à la porte le père juridique-mais-non-biologique de l’enfant un jour avant l’anniversaire des 5 ans de celui-ci, alors le pauvre homme continue à l’avoir dans le baba et se retrouve donc nié en tant que père juridique (même si il est le père affectif et dieu sait qu’il faut bien moins de 5 ans à un enfant pour créer des liens affectifs avec sa mère ou son père !).
  • le concept de « droit du sang » semble se référer soit à une notion soit génétique soit biologique mais il ne faut pas confondre les deux ; les expressions « la chair de ma chair » et « le fruit de mes entrailles » me semblent caractéristiques de l’idée morale dénotée par le « droit du sang » et c’est pourquoi je pense que cette notion est biologique et non génétique : on parle de chair, de sang et d’entrailles, pas de code génétique (qui, par nature  est un polymère et, surtout, une information). Par conséquent, les tests d’ADN n’ont rien à voir directement avec la notion de droit du sang ; il peut s’agir au mieux d’un élément de preuve, suffisant dans le cas d’un homme puisque la parentalité biologique et la parentalité génétique se confondent dans ce cas (OK, les contestations de paternité doivent représenter 99% des cas qui passent en justice) mais insuffisant dans le cas d’une femme (qui peut être la mère biologique et donc la mère au sens commun de « droit du sang »).

Alors, y a-t-il des juristes, des médecins de PMA, des généticiens, des spécialistes de l’éthique, des enfants ou des parents dans la salle ? Qu’en pensez-vous ?

A mes lecteurs informaticiens du web sémantique : à quand une ontologie de la parentalité ? :-)

3 réflexions au sujet de « Parents biologiques, génétiques, juridiques, adoptifs, affectifs, matériels… tout court? »

  1. iluvatar

    Bonjour,

    Moi je dis bel articles, assez complexe certes, mais plutôt bien expliqué, et bien réel. Personnellement je me rend compte que les hommes ne sont finalement que très peu pris pour des pères.
    En effet, en gros il n’y a que des pères matériels, juridique et biologique, en tout cas, aucun lien fort de sentiments et d’amour pour sa progéniture.
    Personnellement si j’avais un enfant, j’aurais clairement de l’affection, un instinct paternel tout comme une femme peut avoir l’instinct maternel.
    A croire que la majorité des hommes pour chose acquise le fait que l’on est des rustres… Frustrant quand même, je veux pas développer mouvement homministe, lol, mais bon quand même quoi.
    Enfin voilà, le lecteur informaticien a laissé sa ptite réponse.
    @++

  2. Sig

    Merci pour ton commentaire.

    Bah, si tu avais un enfant, t’inquiète pas que tu serais probablement tout à fait pris pour un père affectif… par ton enfant (voir par ta femme!). :) Et c’est ça qui compte vraiment, au final.

    Et puis, franchement, ta fausse modestie paternelle (« si j’avais un enfant.. ») t’honore, ô Iluvatar notre père de toute chose ! ;-)

  3. Audrey

    Merci pour cet article qui soulève beaucoup de questions intéressantes!

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